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L'affaire Lubanga : La Cour pénale internationale déclare son premier accusé coupable. Justice rendue pour les victimes de violence sexuelle ?

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Valérie Caron

CONSULTER LE PROFIL

Anabelle Huppé-Nadeau

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12 Mars 2013

 

La Cour pénale internationale (« CPI ») étudie la situation en République démocratique du Congo (« RDC ») depuis 2004 et y a ouvert une affaire en 2006. Le 14 mars 2012, elle rendait son premier verdict lié à une affaire en déclarant coupable le Congolais Thomas Lubanga Dyilo des crimes de guerre que sont la conscription et l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et le fait de les avoir fait participer activement à des hostilités. Le 10 juillet dernier, il a été condamné à une peine totale de 14 années de prison
 

Bref rappel des faits

Thomas Lubanga Dyilo, ancien Président de l’Union des patriotes congolais (« UPC ») et Commandant en chef de sa faction armée, la Force patriotique pour la libération du Congo (« FPLC »), a été arrêté par les autorités de la RDC en 2005. Il était alors suspecté du recrutement et de l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans dans les hostilités et l’UPC était accusée du massacre de civils dans le district congolais d’Ituri entre 2002 et 2003. En février 2006, jugeant qu’elle avait suffisamment de matériel pour croire que Lubanga avait commis des crimes de guerre, la Chambre préliminaire de la CPI a lancé un mandat d’arrêt contre lui. Il a été transféré aux Pays-Bas le 17 mars 2006 et a comparu pour la première fois devant la Cour trois jours plus tard. Les charges ont été confirmées le 29 janvier 2007. Plus de trois ans après son ouverture et malgré maints incidents (dont deux suspensions des procédures), le procès s’est finalement conclu par la déclaration de culpabilité de Lubanga pour la commission des crimes de guerre sanctionnés par l’article 8-2-e-vii du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (« Statut de Rome »), c’est-à-dire le fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées ou dans des groupes armés et de les faire participer activement à des hostilités.

Et les violences sexuelles dans tout ça ?

L’affaire Lubanga est caractérisée par la première participation formelle des victimes à un procès pénal international. Lors de l’enquête et du procès, de nombreux témoignages de victimes ont fait état d’actes de violence sexuelle commis sur des enfants soldats par des membres de l’UPC. Malgré cela, et à la grande déception de la Chambre de première instance, le premier Procureur à s’être chargé du procès de Lubanga, Luis Moreno-Ocampo, n’a pas demandé l’inclusion des violences sexuelles ou de l’esclavage sexuel dans les charges, en plus de soutenir qu’il serait « injuste de déclarer l’accusé coupable sur cette base ». S’il est convenu que le Procureur ne peut porter des charges que lorsqu’il dispose suffisamment d’éléments de preuve, il est en l’espèce décevant qu’au bout d’environ deux ans d’enquête (et malgré lesdits témoignages de victimes), la Cour n’ait pas été en mesure de rassembler assez de matériel incriminant pour retenir d’autres charges contre Lubanga. L’ancien Procureur a néanmoins soutenu dans plusieurs déclarations que les violences sexuelles constituaient une circonstance aggravante qui devait être prise en compte lors de la fixation de la peine de l’accusé.

Ainsi, suivant la volonté du Procureur Ocampo, la Chambre de première instance a entendu les positions du Procureur et de la défense quant à la possibilité de considérer les violences sexuelles dans l’établissement de la peine, puis elle a affirmé qu’elle était « fondée à prendre en considération les violences sexuelles dans le cadre de la fixation de la peine à prononcer, et ce, en dépit du fait qu’elles ne faisaient pas partie intégrante de la Décision sur la confirmation des charges ». La Chambre a par contre ajouté qu’elle ne serait prête à le faire qu’à condition d’être convaincue, au-delà de tout doute raisonnable, que les violences sexuelles subies par des enfants soldats âgés de moins de 15 ans étaient imputables à Lubanga « d’une manière proportionnée à sa culpabilité ». Après étude du cas, la majorité de la Chambre a finalement déclaré qu’elle n’était pas en mesure de conclure que les violences sexuelles dont ont été victimes les enfants recrutés par la FPLC « étaient suffisamment généralisées pour être considérées comme advenant dans le cours normal de la mise en œuvre du plan commun dont Thomas Lubanga a été déclaré responsable ». De plus, selon la majorité toujours, rien n’indiquait que Lubanga avait lui-même ordonné ou encouragé la commission de violences sexuelles. La Chambre a donc conclu à la majorité que le lien entre Lubanga et les violences sexuelles n’avait pas été établi au-delà de tout doute raisonnable et que, par conséquent, elles ne pouvaient pas être prises en compte au moment de l’établissement de sa peine.

Dans une opinion individuelle faisant suite à ce jugement, la juge dissidente Elizabeth Odio Benito a quant à elle soutenu que la violence sexuelle était un aspect intrinsèque de la définition juridique de l’utilisation des enfants dans la participation active aux hostilités. Elle a estimé que la majorité de la Chambre n’a répondu qu’au seul objectif de déclarer l’accusé coupable ou innocent, omettant de « prendre en compte les souffrances subies par les victimes du fait des crimes commis ». Elle a finalement affirmé que les préjudices subis par les victimes ne devraient pas uniquement être considérés lors des procédures de réparations, mais « devraient constituer un aspect fondamental de l’évaluation par la Chambre des crimes commis ». La majorité n’étant malheureusement pas de cet avis, Lubanga n’a été jugé et condamné seulement que pour les chefs d’inculpation touchant l’enrôlement, la conscription et l’utilisation d’enfants soldats.

Au final, la Cour a tout de même reconnu que des violences sexuelles ont été commises en RDC durant la période où Lubanga a commis les crimes dont il a été déclaré coupable. Elle n’a pas considéré ce fait lors du prononcé de la peine, mais ne l’a pas exclu totalement non plus. En effet, dans sa décision sur la peine, la Chambre a stipulé qu’elle examinerait, dans une autre décision encore, « si les violences sexuelles sont pertinentes au regard de la question des réparations ».

L’épineuse question des réparations

Le Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, n’énonce essentiellement que le type de réparations pouvant être octroyées par la Cour. À son article 75, il est mentionné qu’une réparation peut notamment prendre la forme d’une restitution (ex. des biens volés), d’une compensation monétaire ou d’une réhabilitation offerte aux victimes directes de l’accusé ou à leurs ayants droit. Avant que la sentence de Lubanga ne soit rendue, le Procureur et la défense ont émis différents avis sur les réparations qu’elles jugeaient appropriées dans cette affaire et à quelles victimes exactement ces réparations devaient être offertes.

Le Procureur a soutenu que le fait que des charges limitées aient été retenues contre Lubanga et qu’un nombre limité de victimes ait pu participer au procès ne devaient pas être préjudiciables au droit des victimes à obtenir réparation. Elle a ainsi suggéré que l’accusé offre lui-même réparation aux enfants victimes directs des crimes pour lesquels il a été inculpé et que le Fonds au profit des victimes (« FPV ») offre quant à lui réparation aux autres victimes, dont celles de violences sexuelles.

La défense a plutôt soutenu que, comme énoncé à la Règle 85-a du Règlement de procédure et de preuve de la CPI, les victimes devaient seulement être entendues comme toutes personnes ayant subi « un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour » et que le préjudice subi par ces personnes doit être lié aux charges opposées à l’accusé. Elle considère donc que seules les victimes répondant à cette définition peuvent demander une indemnisation, ce qui, en l’espèce, exclut les victimes de violences sexuelles.

Finalement, après avoir établi la peine de Lubanga le 7 août 2012, la CPI a ordonné réparation pour les personnes qui ont directement ou indirectement subi un préjudice du fait de l’enrôlement, de la conscription et de l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans dans le contexte des faits survenus en Ituri, en RDC, entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003. Donc, en suggérant que les charges pour lesquelles l’accusé a été inculpé définissent la portée de l’ordonnance de réparation, la Cour semble plutôt s’être alignée sur la position de la défense.

La Cour a tout de même réitéré que la portée réduite des charges retenues contre Lubanga a limité le nombre de victimes pouvant participer à son procès. Ce faisant, celles qui ont pu le faire ne représentaient pas forcément toutes les victimes ayant souffert des divers crimes commis par la FPLC. La Cour a dit redouter que cette situation cause un ressentiment chez les victimes « oubliées » et que ces dernières soient « re-stigmatisées » par leur communauté. Dans sa décision établissant les principes et procédures relatives aux réparations, la Cour a donc quelque peu fait référence aux violences sexuelles. Elles ont toutefois été abordées plus en tant que facteur pouvant déterminer la nature et l’étendue de la réparation qu’en tant que facteur pouvant justifier l’obtention de réparations. De plus, comme Lubanga a été déclaré indigent[1], la Cour a considéré que la réparation qu’il pouvait offrir personnellement se limitait à des excuses volontairement adressées à ses victimes. La Cour a indiqué que, pour toutes autres formes de réparation, les victimes elles-mêmes devraient présenter leurs propositions au FPV et que c’est ce dernier qui les soumettrait à une future Chambre de première instance pour approbation. Bref, la Cour a décidé que dans l’affaire Lubanga, ce serait essentiellement le FPV qui se chargerait de la question des réparations, et ce, dans la limite des ressources dont il dispose (voir à ce propos le vidéo Affaire Lubanga : Questions-réponses concernant la décision sur les réparations pour les victimes).

Est-ce satisfaisant pour les victimes ? Est-ce approprié pour la justice ?

L’avenir des réparations offertes aux victimes de Lubanga est donc maintenant entre les mains du FPV. Pour les victimes et les communautés touchées par les conflits armés, les réparations constituent la manifestation la plus tangible de la justice que veulent servir les cours internationales. Selon Alana Tiemessen de Justice in Conflict, les tribunaux internationaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda n’ont pas fait grande impression sur le plan des réparations; leurs maigres résultats en la matière (s’ils ne sont pas complètement inexistants) constituent un échec, une occasion ratée. Conséquemment, la CPI a le devoir de réaliser d’importants progrès dans le domaine. La communauté internationale doit se mobiliser pour l’arrestation, le procès et la punition des criminels de guerre tout autant qu’elle doit soutenir les formes de justice « rétributive » et « restaurative » que la réparation peut offrir. Dans le cas de l’affaire Lubanga, le FPV ne pourra donner un sens concret de justice aux nombreuses victimes que s’il dispose suffisamment de soutien financier et politique pour offrir réparation à toutes les personnes qui en ont besoin. Il serait donc déplorable qu’il n’ait pas la volonté ou la possibilité d’offrir réparation à toutes les victimes faites par l’UPC et qu’il ne s’en tienne qu’à celles tombant dans le cadre des accusations limitées portées contre Lubanga.

 

[1] Indigent : Sans ressources, ne possédant aucun actif ou bien qui pourraient être utilisés pour la réparation.

 

 

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