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Les oubliés de la réintégration : une opportunité à saisir ou un fardeau à assumer

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Daniel Berlinguette-Poulin

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18 Août 2020

Le présent billet se veut un appel aux entités investies dans la protection des mineurs soumis aux atrocités de la guerre à s’aligner sur les principes du droit international, à voir et à traiter les enfants d’abord et avant tout comme des victimes et des détenteurs de droits, et à édifier des initiatives de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) éclairées.

Après avoir dressé un bref portrait de l’environnement juridique autour de la question, l’attention sera portée sur quelques-unes des réalités particulièrement préoccupantes en la matière. L’exemple de l’Ouganda servira par la suite de cas de référence pour la mise en lumière des défis entourant les démarches de DDR. Une interpellation du Canada et de la communauté internationale clôturera le billet.

OPAC : un bref tour d'horizon

Le 25 mai dernier marquait le 20e anniversaire de l’adoption du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés (OPAC, Protocole). En date d’aujourd’hui, ce sont 170 États qui ont ratifié l’OPAC et qui consentent par le fait même à être liés par son contenu. Les États parties au Protocole s’engagent à respecter une série de mesures applicables autant aux forces armées étatiques qu’aux groupes armés non étatiques. Alors que les articles du Protocole visant la première catégorie font état de l’encadrement et de la limitation de l’engagement des enfants de moins de 18 ans, celles touchant aux groupes armés non étatiques sont distinctement plus sévères. Ainsi, l’OPAC interdit le recrutement et la participation sous toute condition d’enfants mineurs au sein de groupes non affiliés à une force étatique. Les États sont identifiés comme les premiers responsables de l’application de ces dispositions et doivent prendre les mesures nécessaires afin de prévenir et de sanctionner les agissements proscrits.

Amélioration temporaire de la situation des enfants

Les années suivant l’adoption du Protocole ont été caractérisées par une nette amélioration de la situation des enfants affectés par les conflits armés. En effet, de nombreux gouvernements et groupes non étatiques ont modifié leurs pratiques en mettant fin à la présence de mineurs au sein de leurs rangs, provoquant la libération et la démobilisation de dizaines de milliers d’enfants soldats. Cependant, la situation a pris une tournure inquiétante ces dernières années, alors que le recrutement d’enfants connait une résurgence importante, principalement en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient. Les chiffres montrent que le nombre d’enfants participant à des conflits armés dans le monde a bondi de 159% entre 2012 et 2017 selon une analyse de la défunte organisation Child Soldiers International. Ce sont près de 30 000 cas vérifiés d’enfants actifs au sein de groupes armés qui sont rapportés au cours de cette période. Les plus récentes données disponibles dévoilent que la situation ne s’est globalement pas améliorée depuis lors. Ces statistiques indiquent un accroissement alarmant de mineurs qui prennent les armes et s’exposent régulièrement à la mort. Elles signifient également une augmentation criante du nombre d’enfants utilisés notamment comme messagers, porteurs, domestiques et esclaves sexuels. En outre, se cache derrière ce portrait général une disparité plaçant certains de ces enfants dans une réalité encore plus éprouvante.

Traitement inégal

Alors que le droit international humanitaire et le droit international des droits humains considèrent les mineurs impliqués dans des conflits armés comme étant d’abord et avant tout des victimes devant être soutenues afin de faciliter leur réhabilitation et leur réintégration au sein de la société (l’Affaire Ongwen devant la Cour pénale internationale permettra de cerner jusqu’où s’étend ce principe), plusieurs cas de figure démontrent que ce ne sont pas tous les enfants qui se voient octroyer le même traitement. En effet, les mineurs enrôlés au sein de groupes tels que l’État islamique, Al-Qaïda, Al-Shabab et Boko Haram sont considérés par une quinzaine d’États dont l’Afghanistan, l’Irak, la Somalie et le Nigéria comme des terroristes devant être arrêtés, poursuivis et punis pour leurs actions. Ces enfants risquent donc de subir des traitements cruels, inhumains et dégradants bafouant de manière flagrante leurs droits prévus à la Convention relative aux droits de l’enfant. Cette réalité créée en quelque sorte un troublant double standard entre les mineurs reconnus et traités comme des victimes et ceux considérés et jugés comme des criminels. Un second double standard existe également en la matière, celui-ci étant cependant moins visible et bénéficiant par le fait même d’une moins grande attention des parties prenantes. Il s’agit des enfants affectés par un conflit armé, mais qui sont oubliés par les programmes de soutien comme ceux mis en place actuellement en Afrique, au Moyen-Orient et ailleurs. Le cas le plus frappant en la matière est sans doute celui des filles et des garçons subissant de l’exploitation sexuelle aux mains de groupes armés, mais qui, n’étant pas directement impliqués dans les hostilités, sont plus souvent qu’autrement exclus des bénéficiaires visés par ces programmes. Ceux-ci se retrouvent donc à souffrir seuls et sans possibilité d’accès aux ressources d’aide.

Le cas ougandais

Une analyse approfondie de ce phénomène d’exclusion permet de constater à quel point l’enjeu du soutien aux enfants soldats est complexe. À ce sujet « When war is better than peace: The post-conflict realities of children born of wartime rape in northern Uganda[1] » de Myriam Denov et Atim Angela Lakor apporte un éclairage troublant sur la question en s’intéressant à la vie d’enfants aujourd’hui démobilisés qui sont nés et qui ont grandi parmi un groupe armé. Cet article se penche sur les réalités actuelles et les perspectives d’avenir de 60 mineurs nord-ougandais nés de viols commis par des membres de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) et poursuivant désormais une existence civile après avoir passé plusieurs années sous l’emprise de l’organisation. L’intérêt principal de cette étude réside dans la comparaison des traits caractéristiques des deux réalités vécues par ces enfants. Ainsi, malgré les abus auxquels ils étaient régulièrement confrontés et le climat de peur dans lequel ils évoluaient au sein de la LRA, la grande majorité d’entre eux ont déclaré que la vie était meilleure à cette époque qu’elle ne l’est actuellement. Aux dires de Denov et Lakor, cela signifie essentiellement que la réalité en temps de guerre était plus agréable pour ces enfants que celle en temps de paix.

Les raisons incitant ces enfants à déclarer une telle chose proviennent en partie de la reconnaissance, de la considération et du soutien qui leur étaient destinés en tant que membres de la LRA, mais surtout des multiples difficultés auxquelles ils sont confrontés depuis leur retour à la vie civile. L’étude réalisée a permis de découvrir que ces derniers font régulièrement face à de la stigmatisation, de l’humiliation, de la violence physique et verbale, de même que de la marginalisation économique et éducationnelle. Plus globalement, les enfants nés d’un viol dans le cadre de la LRA sont considérés et traités par la société ougandaise comme des citoyens de seconde classe et sont par le fait même dépourvus des droits et des opportunités auxquels la population générale peut aisément prétendre avoir accès. Consciente de la situation, l’organisation ougandaise Watye Ki Gen agit depuis des années afin de soutenir et de donner une voix à ces enfants largement abandonnés par l’État. Celle-ci se retrouve cependant bien seule, alors que très peu d’acteurs nationaux et internationaux s’intéressent au sort de ces mineurs, les privant ainsi du support dont ils ont désespérément besoin.

Désarmement, démobilisation et réintégration : défis multiples

Le cas ougandais illustre à quel point les initiatives de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) sont essentielles pour maximiser les chances d’un sain retour à la vie civile des individus auparavant impliqués dans des groupes armés, de même que pour renforcer les potentialités de paix, de sécurité et de développement des régions anciennement déchirés par les conflits. Or, de nombreuses avancées sont encore à faire pour en arriver à la mise en œuvre d’interventions de DDR répondant adéquatement à l’ensemble des besoins des victimes et en particulier à ceux des enfants. Le rapport « Improving Support to Child Reintegration » de la Global Coalition for Reintegration of Child Soldiers met clairement en exergue les lacunes associées aux programmes actuels de soutien aux enfants affectés par les conflits. Parmi celles-ci, notons un financement trop restreint et imprévisible venant limiter et fragiliser les actions mises en place, une transition déficiente entre les services octroyés par les humanitaires et ceux fournis par les acteurs du développement, de même qu’une coordination perfectible entre les différentes tâches et responsabilités des parties prenantes impliquées. Ces manquements créent un « vide réintégrationnel » affectant négativement le retour à la vie en temps de paix de dizaines de milliers d’enfants des quatre coins du globe. Pour pallier à cette déficience, les auteurs du rapport appellent notamment à bâtir des interventions qui s’inscrivent dans le long terme, à partager judicieusement les responsabilités des acteurs compris dans le nexus Humanitaire-Développement-Paix, à accroitre et à maximiser les mécanismes de financement, de même qu’à ancrer les démarches DDR dans l’objectif prioritaire de l'intérêt supérieur de l’enfant et où le succès de celles-ci est déterminé par des outils de suivi et d’évaluation appropriés et holistiques. 

Opportunité ou fardeau

Alors que le Canada a récemment encaissé un second échec d’affilée dans sa tentative d’obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et que des experts dénoncent un manque d’ambition et d’identité du pays sur la scène internationale, un regard sur les difficultés de réintégration des enfants soldats pourrait servir d’inspiration à nos dirigeants nationaux, mais également à ceux de partout ailleurs sur la planète. Il s’agit d’une opportunité unique pour le Canada et le reste du monde d’œuvrer collectivement à la résolution d’un enjeu derrière lequel nous devrions tous nous ranger sans la moindre hésitation. S’il n’en est pas ainsi, alors nous ferions mieux de baisser la tête afin d’éviter de croiser le regard des milliers d’enfants vivant dans l’espérance de notre assistance.


Les réflexions contenues dans ce billet n’appartiennent qu’à leur(s) auteur(s) et ne peuvent entraîner ni la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice pénale internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit de l’Université Laval, de l’Université Laval ou de leur personnel respectif, ni des personnes qui ont révisé et édité ces billets, qui ne constituent pas des avis ou conseils juridiques. 

 

[1] Denov, M. et Angela Lakor, Atim. (2017). When war is better than peace: The post-conflict realities of children born of wartime rape in northern Uganda. Child Abuse & Neglect, 65(1), 255-265. https://doi.org/10.1016/j.chiabu.2017.02.014

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