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Libération sous conditions de personnes acquittées par la CPI : La décision intenable de la Chambre d’appel dans l’affaire Gbagbo et Blé Goudé

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Moussa Bienvenu Haba

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18 Octobre 2019

Le 7 octobre 20019, la défense de Laurent Gbagbo a, par une requête, demandé à la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) de reconsidérer son arrêt du 1er février 2019. Dans cet arrêt, la Chambre d’appel avait décidé de la mise en liberté sous conditions des sieurs Laurent Gbagbo et Blé Goudé pendant la durée de la procédure d’appel, modifiant ainsi la décision orale rendue par la Chambre de 1ere instance I le 16 janvier 2019, qui rejetait la demande de la Procureure de maintenir en détention les deux personnes acquittées conformément à l’article 81 (3) (C) (i) du Statut de Rome de la CPI (Statut de Rome). Cette dernière décision faisait suite à la décision orale d’acquittement des deux accusés pour non-lieu (« No case to answer ») des charges de crimes contre l’humanité. La requête de la défense de Gbagbo pour reconsidération de l’arrêt du 1er février 2019 répond également à la récente décision de la Procureure de la CPI de faire appel de l’acquittement de Gbagbo et Blé Goudé, prorogeant ainsi pour plusieurs mois, voire plusieurs années, le statut d’« acquittés en libération conditionnelle » des deux personnes. Une telle situation nous apparait déplorable, car l’arrêt de la Chambre d’appel, en l’espèce, souffre de plusieurs lacunes.

Sans revenir sur tous les aspects de la saga Gbagbo à la CPI, le présent billet a pour objectif de relever quelques-unes des lacunes de l’arrêt du 1er février 2019 et de justifier par là même le bien-fondé d’une reconsidération de cet arrêt par la Chambre d’appel. Ce faisant, il s’articulera sur trois aspects pertinents de l’arrêt, à savoir le pouvoir des chambres de la CPI de libérer sous conditions des personnes acquittées (1), la norme de preuve applicable au cas échéant (2) et la sévérité des conditions imposées à Gbagbo et Blé Goudé (3).

  1. La libération sous conditions en vertu de l’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome

L’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome pose comme principe la liberté immédiate pour les accusés acquittés par la CPI. Cette même disposition prévoit l’exception suivante :

Dans des circonstances exceptionnelles, et en fonction, notamment, du risque d’évasion, de la gravité de l’infraction et des chances de voir l’appel aboutir, la Chambre de première instance peut, à la demande du Procureur, ordonner le maintien en détention de l’accusé pendant la procédure d’appel.

Saisie de l’appel de la Procureure contre la décision de la Chambre de première instance rejetant sa demande de maintien en détention des acquittés conformément à l’exception mentionnée ci-dessus, la Chambre d’appel a considéré que la décision attaquée était entachée d’une erreur de droit. Celle-ci se rapporterait au fait que la Chambre de première instance ne s’était pas demandé « s’il existait des raisons impérieuses justifiant de poser des conditions à la mise en liberté » (para 55). En ne traitant que de la question principale de la détention des acquittés, sans se prononcer sur celle accessoire relative à leur libération sous conditions, la Chambre de première instance aurait ainsi commis une erreur, selon la Chambre d’appel. Plus encore, la Chambre d’appel soutient que la question relative à la libération sous conditions des deux acquittés était la principale demande de la Procureure en appel (para 47, 53). Cette première conclusion est curieuse, car elle transforme l’accessoire en principal et le principal en accessoire.

En effet, dans son Mémoire d’appel, la Procureure demandait à titre principal à la Chambre d’appel de constater que la décision attaquée est entachée d’erreurs, en avançant quatre moyens (para 9-46). Ensuite, à titre de remède, advenant l’accueil de son appel, la Procureure demandait à la Chambre d’appel d’infirmer la décision attaquée, de substituer son propre pouvoir discrétionnaire à celui de la Chambre de première instance et « de conclure que des circonstances exceptionnelles au sens de l’article 81 (3) (c) (i) du Statut justifient le maintien en détention de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé pendant la procédure d’appel » (Arrêt, para 22. Voir aussi Mémoire d’appel, para 50 (a) et (b)). Et seulement ensuite, la Procureure demandait qu’à la place de la détention, les acquittés puissent être libérés sous conditions, si et seulement si un État acceptait de les recevoir et de mettre en œuvre les conditions imposées par la Chambre (Mémoire d’appel, para 50 (c) et (d)).

Ainsi, la Chambre d’appel était principalement appelée à se prononcer sur les quatre moyens d’appel de la Procureure qui portaient tous sur les conclusions de la Chambre de première instance se rapportant à la non-existence de circonstances exceptionnelles requérant le maintien en détention des deux acquittés conformément à l’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome (Voir Arrêt, para 16-21 ; Mémoire d’appel, para 9-46).

Le fait que la Chambre de première instance ne se soit pas prononcée sur la demande accessoire de libération sous conditions ne faisait pas partie des moyens d’appel de la Procureure. En identifiant, sans justification, une « erreur » proprio motu dans le cadre de cet appel interlocutoire, la Chambre d’appel va à l’encontre de son approche restrictive retenue en la matière et soutenant que « l’appel a une vocation corrective et qu’il se borne aux moyens qui y sont formulés » (Lubanga, para 71) (nos soulignés). Si les TPI ad hoc ont à quelques reprises concluent que la Chambre d’appel pouvait traiter de questions proprio motu, ce constat ne semble valide que pour les appels sur la culpabilité ou la peine (voir Erdemović, para 16 ; Akayesu, para 17), l’approche restrictive demeurant pour les appels interlocutoires (voir Tadić, para 7-8). La jurisprudence naissante de la CPI semblait donc valider cette approche restrictive de la juridiction de la Chambre d’appel[1]. Il aurait au moins fallu que la Chambre d’appel justifie sa décision de statuer proprio motu sur la prétendue erreur de la Chambre de première instance relative à la question de la libération sous conditions, d’autant plus qu’elle s’est abstenue de traiter des quatre (4) moyens d’appel explicitement avancés par la Procureure.

Par ailleurs, une deuxième conclusion de la Chambre d’appel relative à l’interprétation de l’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome mérite d’être relevée. La Chambre d’appel a conclu que cette disposition qui porte explicitement sur la libération immédiate ou la détention (en cas de circonstances exceptionnelles) des personnes acquittées aux fins de la procédure d’appel permet une libération sous conditions. Elle a fondé son interprétation sur un « pouvoir inhérent » qu’auraient les Chambres en l’espèce, leur permettant de libérer les acquittés sous conditions, à défaut de prononcer leur maintien en détention (para 53). Pourtant, la même Chambre avait insisté plus d’une fois sur l’importance de l’usage restrictif des « pouvoirs inhérents », qui doit être conditionné par un constat préalable d’une lacune dans le cadre juridique régissant la Cour (voir Bemba et al, para 75-79 ; Banda et Jerbo, para 78). Une telle restriction à la CPI est fondée sur le fait que «contrary to other international courts and tribunals, this Court’s functions are regulated by a comprehensive legal framework in which its powers have been deliberately spelt out by the drafters to a great degree of detail, thus leaving little room to the invocation of “inherent powers” in the proceedings before it » (Bemba et al, para 79).

Ce faisant, la référence par la Chambre d’appel à quelques rares décisions du TPIR, et seulement du TPIR (para 51, note de bas de page 145), pour justifier son interprétation extensive de l’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome semble peu pertinente, en ce sens que les textes de la CPI sont clairs et prévoient la libération sous conditions pendant le procès (art 60 (2)), et la liberté ou, dans les circonstances exceptionnelles la détention pour les personnes acquittées (art 81 (3)(c)(i)). Qui plus est, la jurisprudence des autres tribunaux pénaux internationaux n’est pas une source du droit applicable à la CPI (art 21, Bemba et al, para 79). Au demeurant, une interprétation textuelle et stricte de l’article 81 (3) (c) (i) serait conforme au droit international des droits humains tel que requis par l’article 21 (3) du Statut de Rome car, comme le reconnait la Chambre d’appel elle-même, celui-ci est en faveur de la libération des personnes acquittées (para 50, 52, voir aussi Requête défense, para 21-23).

De ce qui précède, le recours à des « pouvoirs inhérents » résultant d’une interprétation peu justifiée de l’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome permettant l’imposition des conditions à des personnes acquittées nous apparait peu solide au regard du cadre juridique de la CPI et du droit international des droits humains. Par ailleurs, l’exercice de ces « pouvoirs inhérents » par la Chambre d’appel s’est fondé sur un standard de preuve complètement nouveau et méconnu du cadre juridique de la CPI.

  1. La norme de preuve requise par l’article 81 (3) (c) (i) : « raisons impérieuses » vs « circonstances exceptionnelles » pour la libération conditionnelle des personnes acquittées par la CPI

En faisant usage de la possibilité que lui reconnait la Règle 158 (1) du Règlement de procédure et de preuve de la CPI de modifier la décision appelée devant elle après l’avoir infirmée, la Chambre d’appel a eu recours à un critère inédit, celui des « raisons impérieuses » pour fonder sa décision d’imposer des conditions à la libération des acquittés Gbagbo et Blé Goudé (para 54). Cela renforce l’incompréhension, car la Chambre d’appel a recours à l’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome pour fonder sa décision, tout en appliquant une norme de preuve contraire à celle prévue explicitement dans cette disposition, à savoir l’existence des « circonstances exceptionnelles ».

En effet, l’existence de circonstances exceptionnelles relatives notamment au risque concret d’évasion, à la gravité de l’infraction et aux chances de voir l’appel aboutir constitue le critère applicable en vertu de l’article 81 (3) (c) (i) pour détenir des personnes acquittées. C’est ce critère qui devrait en toute logique servir de fondement pour une libération sous conditions en vertu d’un éventuel « pouvoir inhérent » résultant de l’article 81 (3) (c) (i). Au contraire, la Chambre d’appel a eu recours à un nébuleux critère de « raisons impérieuses » dont elle n’explique nulle part ni le bien fondé, encore moins le contenu (voir para 54-56). Cela rend aberrant la conclusion de la Chambre d’appel selon laquelle la Chambre de première instance a commis une erreur de droit en appréciant s’il existait des « circonstances exceptionnelles » qui, au sens de l’article 81 (3) (c) (i) du Statut, justifieraient le maintien en détention, sans se demander s’il existait des « raisons impérieuses » justifiant de poser des conditions à la mise en liberté (para 55). Comment reprocher à la Chambre de première instance de n’avoir pas appliqué un standard de preuve qui n’est prévu nulle part dans le statut, à la place de celui prévu explicitement par la disposition dont l’application est en cause ?

Plus encore, la Chambre d’appel ne semble pas du tout avoir appliqué en l’espèce son nouveau critère des « raisons impérieuses ». En fait, elle a fondé sa décision d’imposer des conditions à la libération de Gbagbo et Blé Goudé sur l’existence d’un risque de fuite (para 60). Curieusement, son évaluation, du reste laconique, du risque de fuite des acquittés (para 58-59) consiste en un renvoi aux décisions antérieures rendues par la Chambre de première instance I aux demandes de libération provisoire faites par les deux accusés pendant le cours du procès (para 59). Ces décisions ont pourtant été rendues sous le fondement de l’article 60 (2) et (3) du Statut qui est assujetti à une norme de preuve moins stricte qui est celle de la possibilité d’occurrence d’un des risques prévus à l’article 58 (1) du Statut de Rome relatif à l’émission d’un mandat d’arrêt (voir Katanga et Chui, para 21).

Cette norme renvoie à la « simple possibilité » et non à la certitude qu’un événement survienne à l’avenir (ibid, voir aussi Gbagbo, para 48). En fait, pour le risque de fuite par exemple, il suffit pour la Procureure d’établir qu’il existe une possibilité que l’accusé ne comparaisse plus devant la Cour en cas de libération provisoire pour que le maintien en détention pendant le procès s’impose. Il s’agit donc d’un « simple risque de fuite » dans le cas de l’article 60 (2) et (3) du Statut de Rome. Ce critère est fondamentalement différent de celui applicable aux personnes acquittées par la CPI (cf art 81 (3)(c )(i)) qui requiert, comme le reconnait la Procureure elle-même, « proof of a concrete risk of a future occurrence » (Requête Procureure, para 13). Dans Ngudjolo, la Chambre d’appel avait réitéré que la détention d’un acquitté conformément à l’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome est assujettie à l’existence « des raisons particulièrement fortes qui l’emportent sur le droit de l’intéressé d’être mis en liberté immédiatement après son acquittement » (para 23) (nos soulignés). Plus encore, l’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome prévoit explicitement, entre autres circonstances exceptionnelles, le « risque concret de fuite » (« concrete risk of flight »)[2] qui est clairement plus élevé que la simple possibilité de fuite requise pour la libération provisoire en cours de procès (art 60 (2) et (3), art 58 (1)(b)) ; voir aussi Requête Procureure, para 13). L’imposition de mesures restrictives à la liberté d’un acquitté conformément à l’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome devrait en toute logique être assujettie au critère plus rigoureux d’exceptionnalité requis explicitement par ladite disposition.

Partant, en invoquant l’application d’une norme nouvelle des « raisons impérieuses » qui dans les faits renvoie à celle de la simple possibilité, la Chambre d’appel affaiblit considérablement la solidité de son raisonnement. À aucun moment elle ne semble tenir compte de la situation nouvelle créée par l’acquittement total à mi-procès des deux accusés. Son évaluation assez brève du risque de fuite s’en trouve ainsi fortement biaisée (para 59), étant entendu que l’acquittement, à n’en pas douter, influe considérablement sur la volonté des acquittés de se soustraire à la justice par la suite. En fait, les critères du risque de fuite que sont la gravité des charges, la possibilité d’être condamnée à une lourde peine et l’existence d’un réseau de partisans et les moyens dont disposent les accusés (para 59) auraient dû être évalués à l’aune de l’acquittement et du critère plus rigoureux prévu à l’article 81 (3) (c) (i), et non sur un inédit critère des « raisons impérieuses ». Qui plus est, la Chambre de première instance avait constaté avec autorité la faiblesse exceptionnelle de la preuve de l’accusation dans cette affaire (Décision orale, page 3, ligne 24-25 ; voir aussi Motifs de la décision orale, para 2038).

En ne faisant pas une évaluation minutieuse et plus rigoureuse de la preuve, conformément au critère des circonstances exceptionnelles prévues pour les personnes acquittées, la Chambre d’appel a rendu une décision très peu solide en fait et en droit. Dans la même veine, la sévérité des conditions de libération de Gbagbo et Blé Goudé nous interpelle.

  1. La sévérité des conditions imposées à la libération de Gbagbo et Blé Goudé

L’arrêt de la Chambre d’appel du 1er février 2019 surprend également par la rigueur des mesures imposées. En fait, après avoir rappelé clairement la primauté de la liberté pour les personnes acquittées en première instance, la Chambre d’appel semble à notre avis avoir inutilement eu la main lourde à l’égard de Gbagbo et Blé Goudé. Elle leur a imposé les conditions suivantes (para 60) :

i) S’engager par écrit à se conformer à toutes les instructions et ordonnances de la Cour, notamment en comparaissant devant la Cour lorsque celle-ci l’ordonnera, et accepter que la procédure d’appel devant la présente Chambre pourrait se poursuivre en leur absence, s’ils ne se présentaient pas devant la Cour après en avoir reçu l’ordre ; 

ii) Informer la Chambre et l’État qui les accueille de leur adresse et de leurs coordonnées, et demander à la Cour son autorisation avant de changer d’adresse ; 

iii) Ne pas se déplacer en dehors des limites de la municipalité dans laquelle ils résident dans l’État d’accueil, à moins d’y avoir été expressément autorisés au préalable par la Cour ; 

iv) Remettre au Greffe toutes les pièces d’identité dont ils disposent, en particulier leur passeport ; 

v) Se présenter chaque semaine auprès des autorités de l’État d’accueil ou auprès du Greffe ; 

vi) Ne pas entrer en contact, que ce soit directement ou indirectement, avec un quelconque témoin cité par l’Accusation dans le cadre de cette affaire, ou avec une quelconque personne dont le Procureur leur a révélé qu’elle a été entendue dans le cadre de l’enquête en cours en Côte d’Ivoire, sauf par l’intermédiaire du conseil autorisé à les représenter devant la Cour et conformément aux protocoles applicables ; 

vii) S’abstenir de toute déclaration publique au sujet de l’affaire, que ce soit directement ou indirectement, ou d’entrer en contact avec le public ou de faire des déclarations à la presse au sujet de l’affaire ; et 

viii) Se conformer à toute autre condition raisonnable imposée par l’État dans lequel ils seront libérés.

 Au regard du statut d’acquittés des deux personnes, ces conditions nous apparaissent sévères tant quantitativement que qualitativement.

S’agissant de la sévérité quantitative, relevons que les juges d’appel ont en fait imposé toutes les huit conditions proposées par la Procureure (para 22, note de bas de page 52). Ce nombre est considérablement élevé si nous le comparons avec les conditions imposées par le TPIR dans les rares affaires similaires et citées par la Chambre d’appel, à savoir Ntagerura et Bagambiki (quatre conditions) et Bagilishema (cinq conditions). Plus encore, devant la CPI elle-même, la décision de libération provisoire de Bemba en attendant une nouvelle audience sur la peine, à la suite de la confirmation en appel de sa culpabilité pour atteinte à l’administration de la justice par la CPI, n’était assortie que de cinq conditions. L’imposition d’autant de conditions restrictives à Gbagbo et Blé Goudé ne semble pas justifiée par une quelconque particularité de l’affaire les concernant. L’acquittement aurait dû constituer un facteur militant, le cas échéant, pour l’imposition de conditions minimales, assorties de garanties de représentation.

En ce qui a trait à la sévérité qualitative ou intrinsèque des conditions, nous constatons que celles imposées à Gbagbo et Blé Goudé sont également plus exigeantes. Deux conditions notamment nous interpellent. La 3e condition impose à Gbagbo et Blé Goudé l’interdiction de se déplacer en dehors de la municipalité dans laquelle ils résident dans l’État d’accueil, à moins d’y avoir été expressément autorisés au préalable par la Cour. En comparaison, Bemba devait juste informer la Cour et non requérir son autorisation, et seulement pour les voyages avec nuitée, c’est-à-dire si le voyage comprenait qu’il passe la nuit hors de ses lieux de résidence (Bemba et al). Pour les acquittés libérés sous conditions par le TPIR, l’autorisation écrite du tribunal n’était requise que pour les voyages hors du pays de résidence (Ntagerura et Bagambiki et Bagilishema). La rigueur injustifiée de cette condition l’a rendue impossible à mettre en œuvre et poussée la Belgique à demander sa modification à la Chambre d’appel en vue de son applicabilité à Laurent Gbagbo (Décision du 28 février 2019).

Dans la même veine, la 5e condition requiert des acquittés de se présenter chaque semaine auprès des autorités de l’État d’accueil ou auprès du Greffe. En comparaison, Bemba n’avait pas cette exigence du tout. Les acquittés libérés sous conditions par le TPIR devaient se présenter une fois par mois au poste de police le plus proche de leur lieu de résidence. Et non une fois par semaine.

La sévérité injustifiée des conditions imposées à Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ne semble pas tenir compte du statut d’acquittés des deux personnes, et en particulier de leur acquittement à la suite d’une procédure de non-lieu à mi-procès, et du constat implacable de la majorité des juges de la Chambre de première instance relative à la faiblesse exceptionnelle du dossier d’accusation. Par ailleurs, compte tenu de ces conditions très strictes et de la difficulté de les mettre en œuvre, aucun État n’a encore accepté d’accueillir Blé Goudé.

 

Conclusion 

De ce qui précède, il semble logique d’espérer que la Chambre d’appel réponde favorablement à la requête en reconsidération de son arrêt, introduite par la défense de Laurent Gbagbo. Les critiques relevées quant aux lacunes de cet arrêt nuisent sérieusement à la réputation et à l’indépendance de la CPI. L’arrêt du 1er février 2019 fait la part belle à ceux qui soutiennent que l’ancien président Laurent Gbagbo et son ancien ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé sont otages de la « communauté internationale » dont l’objectif est de les exclure durablement de la vie politique de la Côte d’Ivoire, via la CPI (voir, ici, ici et ici).

Les juges d’appel ont ainsi l’occasion de corriger cette situation incongrue qui s’apparente à un emprisonnement avec sursis (voir art 742. 3 Code criminel) de personnes pourtant acquittées de toutes les charges. À défaut de les libérer sans condition, la Chambre d’appel devrait au moins réduire au strict nécessaire les conditions de libération. Cela ne serait que justice au regard des lacunes évoquées précédemment.


Les réflexions contenues dans ce billet n’appartiennent qu’à leur(s) auteur(s) et ne peuvent entraîner ni la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit de l’Université Laval, de l’Université Laval ou de leur personnel respectif, ni des personnes qui ont révisé et édité ces billets, qui ne constituent pas des avis ou conseils juridiques.

 

 

 

 

 

[1] Voir notamment Alena Hartwig, « Appeal and revision » dans Christoph Safferling, dir, International Criminal Procedure, Oxford, Oxford University Press, 2012, aux pp. 531-532; Ben Batros, « The Judgment on the Katanga Admissibility Appeal: Judicial Restraint at the ICC » (2010) 23 Leiden Journal of International Law 343-362.

[2] Même si la version française de l’article 81 (3) (c) (i) du Statut de Rome est moins explicite que la version anglaise, l’exigence de risque « concret » de fuite est retenue par les Chambres comme la version faisant autorité. Voir Le Procureur c. Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, ICC-02/11-01/154, Décision sur les soumissions relatives à l’article 81-3-c-i, Transcrits ICC-02/11-01/15-T-234-FRA ET WT 16-01-2019 1/6 SZ T (16 janvier 2019) à la p 1, ligne18 (CPI, Chambre de 1ere instance), en ligne : < https://www.icc-cpi.int/Transcripts/CR2019_00135.PDF > ; Le Procureur c. Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, ICC-02/11-01/15 OA14, Arrêt relatif à l’appel interjeté par le Procureur contre la décision rendue oralement par la Chambre de première instance I en application de l’article 81-3-c-i du Statut (1er février 2019) aux para 17, 26, 40 et 58 (CPI, Chambre d’appel), en ligne : < https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2019_01333.PDF >.

 

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