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La Déclaration du 28 janvier 2013 par le Procureur de la CPI sur le Mali : entre impartialité et complémentarité

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Élise Le Gall

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1 February 2013

 

La Déclaration du 28 janvier 2013 par le Procureur de la CPI sur le Mali : entre impartialité et complémentarité

Le 16 janvier 2013, le Bureau du Procureur a annoncé l’ouverture d’une enquête officielle sur les crimes qui auraient été commis sur le territoire du Mali, par divers groupes armés, depuis janvier 2012 (pour une explication précise du contexte géopolitique malien et le conflit actuel rendez vous sur ce lien).

La Déclaration du 28 janvier 2013 par le Procureur de la CPI sur le Mali mérite une attention particulière. À la lecture de cette déclaration, il semble que l’attention du Bureau du Procureur se porte également sur des exactions qui auraient été commises par les forces armées maliennes.

Cette déclaration intervient dans un contexte plus général où la Cour pénale internationale (CPI) et plus particulièrement la stratégie de poursuite criminelle des procureurs internationaux fait l’objet de critiques toujours plus insistantes.

Bien qu’il existe une obligation générale de poursuivre les auteurs de violations massives des droits de l’Homme et du droit international humanitaire qui a été posée par plusieurs instruments internationaux[1] dont le Statut de Rome et plus connue sous l’adage « aut dedere aut judicare », il est reconnu au Procureur de la Cour pénale internationale un pouvoir d’appréciation au stade de l’enquête et des poursuites (articles 15 et 53 du statut de la Cour pénale internationale).

En effet, ce pouvoir d’appréciation peut s’identifier à celui que connaissent les procureurs dans les systèmes dits « d’opportunité des poursuites ». Ce pouvoir du procureur signifie que celui-ci « peut » engager des poursuites lorsqu’il a connaissance d’une infraction juridiquement poursuivable mais qu’il ne s’agit en aucun cas d’une obligation[2].

Ainsi, le Procureur de la Cour pénale internationale dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant au choix du déclenchement des poursuites. Un choix de poursuite bien évidemment subordonné à l’existence « d’une base respectivement raisonnable ou suffisante » des éléments de preuve en sa possession prévue par les articles 13 à 15, 18 et 53 du Statut de Rome. (Pour une analyse plus approfondie : Arnaud POITEVIN, « Cour pénale internationale : les enquêtes et la latitude du procureur », dans Droits fondamentaux, n°4, janvier-décembre 2004)

Cependant, la principale critique concernant l’utilisation de ce pouvoir discrétionnaire du Procureur dans le déclenchement des poursuites s’articule autour des conséquences négatives d’une approche séquentielle des événements. Celle-ci se traduit par une concentration du travail du Bureau du Procureur sur un groupe en particulier (donc une partie au conflit) et sur l’allocation ou non, par la suite, de ressources limitées sur une autre partie au conflit.

Or, en réalité, dans de nombreux cas, les autres parties au conflit n’ont pas été poursuivies comme en Ouganda ou encore en Côte d’Ivoire.

Cette approche perpétue pour certains et à juste titre une perception de partialité de la Cour et aboutit à des poursuites qui ne reflètent pas la réalité des crimes commis et la souffrance de victimes ignorées.

Il est évident que le Bureau du Procureur n’a pas vocation ni les moyens financiers et humains de juger tous les présumés responsables de violations graves du droit pénal international et humanitaire de tous les conflits dans le monde et qu’une sélectivité des poursuites organisée autour des « plus grands responsables » est entendable et justifiée.

En revanche, ce qui l’est moins, c’est l’application d’une politique de sélectivité des poursuites basée sur les exactions commises par une seule des parties au conflit, lorsqu’il est pourtant avéré que des exactions tout aussi similaires dans l’ordre de gravité ont été commises par une autre partie au conflit. Malheureusement, nombreux sont les exemples où la stratégie de poursuite du procureur international, proclamant agir en vue de lutter contre l’impunité des violations graves du droit pénal international, a finalement abouti à une lutte pour l’impunité d’une des parties au conflit[3].

De même, il ne peut être avancé un argumentaire qui considérerait qu’il serait politiquement incorrect de poursuive les forces armées maliennes, sous prétexte que c’est le gouvernement malien qui a déféré cette situation à la CPI et qu’il en va de la bonne administration et de la bonne coopération de la justice pénale internationale de fermer les yeux sur ces exactions.

Nombreux sont ceux qui diront que la justice et la politique sont liées, nombreux sont ceux qui s’appuieront sur l’idée que parfois, il est dans « l’intérêt de la justice »[4] de ne pas poursuivre certaines parties au conflit afin de préserver une paix naissante, et/ou au nom d’une justice pénale internationale au service (elle seule ?) d’un but de réconciliation nationale et de préservation de la paix.

Mais d’aucuns n’oublieront qu’il faut rendre à la justice sa vocation première, celle de rendre justice, qui, dans sa dimension la plus noble, peut être assimilée au propos de Cesare Beccaria en 1764 : « le châtiment ne doit pas forcément être sévère mais il doit nécessaire être inéluctable ». Cette vocation de justice prévient tout acte de vengeance, exercice supposé naturel de l’homme face à la violence :

La seule alternative civilisée à ce désir de vengeance est de faire justice : de charger un tribunal indépendant et impartial de mener un procès équitable de punir ceux qui auront été déclarés coupables. À défaut d’un procès équitable, les sentiments de haine et de rancœur, à fleur de peau, ne manqueront pas d’exploser tôt ou tard et d’aboutir à de nouvelles violences. Nations-Unies, Assemblée générale du Conseil de sécurité, A/49/342, S/1994/1007, 29 Août 1994.

Forte de ces critiques de plus en plus vives, la nouvelle procureure de la CPI, Fatou Bensouda, qui a prêté serment le 15 juin 2012, semble opter pour la défense d’une perception impartiale de la stratégie de poursuite criminelle de la CPI, du moins dans la situation du Mali.

En effet, depuis quelques semaines, des ONG, comme la Fédération internationale des droits de l’Homme (fidh), dénoncent des exactions qui seraient commises par les forces armées maliennes à l’encontre des populations civiles.

La Déclaration du 28 janvier 2013 du Procureur de la CPI est l’expression même de l’exigence d’impartialité des acteurs participant aux poursuites criminelles devant les juridictions pénales internationales.

Cette exigence d’impartialité et de veiller à l’application de celle-ci prend toute sa force dans le propos introductif : « Mon Bureau est informé de ce que les forces armées maliennes auraient commis des exactions dans le centre du Mali ces derniers jours ». Puis, en rappelant avec insistance que son Bureau a compétence « pour connaître de tout crime grave commis sur le territoire malien à compter du mois de janvier 2012 » et que « toute personne présumée responsable de tels crimes doit faire face à la justice », il est à retenir que cela vise à la fois tant une partie spécifique du conflit que l’ensemble des parties au conflit ayant commis des exactions graves du droit pénal international.

Mais davantage encore, ce souci d’impartialité est clairement mis en exergue par le rappel d’un autre principe essentiel à l’effectivité d’une lutte contre l’impunité toujours plus efficace et universelle, qui est le principe de complémentarité de la Cour pénale internationale. (Le principe de complémentarité est inscrit dans le préambule du statut de la Cour pénale international et est réglementé par les articles 17 à 20 de ce statut).

Ce principe de complémentarité prévoit que c’est d’abord et avant tout aux juridictions nationales d’être compétentes dès lors que suffisamment d’éléments de preuve sont réunis pour diligenter des enquêtes et poursuites à l’encontre de personnes qui auraient commis des graves violations du droit international. La Cour pénale internationale ne vient au secours des juridictions nationales seulement lorsque la situation du pays ne permet pas à celles-ci d’assurer ses fonctions, ou lorsqu’elles les ont accomplies en violation des garanties procédurales normalement attendues dans tout procès pénal.

Par cette déclaration du 28 janvier 2013, le Procureur Fatou Benssouda pose les bases d’une coopération judiciaire avec les juridictions maliennes. Un phare justicier international qui éclaire vers un objectif commun : celui d’une lutte contre l’impunité ne mettant pas en naufrage l’embarcation de victimes ignorées naviguant vers cette soif d’une justice effective pour tous. Pression est faite aux juridictions maliennes qui, en cas de défaillance ou inaction à poursuivre des exactions commises par les différentes parties au conflit, trouveront sur leur chemin le rappel à l'ordre de ce principe d'impartialité dans le choix des poursuites.

Affaire à suivre….

 

 

[1] Article 4 et 6 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, article 49 et 54 de la Convention I de Genève, article 50 de la Convention II, article 129 de la Convention III, article 135 et 146 de la Convention IV, article 7 de la Convention contre la torture ou autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984.

[2] Ce principe « d’opportunité des poursuites » s’oppose aux systèmes juridiques qui appliquent « le principe de légalité des poursuites » qui prévoit que le Ministère Public doit engager des poursuites dès lors que les conditions légales sont réunies. Il s’agit bien là d’une obligation de poursuivre, dont seuls des motifs juridiques rendent les poursuites impossibles telles que la prescription et l’amnistie, par exemple.

[3] Voir le cas du Rwanda, Hirondelle News Agency « TPIR/BILAN –Actif et passif du TPIR, selon le professeur André Guichoua, témoin expert » le 17 janvier 2013.

[4] « Le Procureur de la CPI prêt à suspendre les poursuites si la paix l’exige », Agence France-Presse, 16 avril 2005 (Déclaration du procureur Ocampo à propos de la situation en Ouganda).

 

 

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