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La France va-t-elle enfin refuser de garantir l'impunité aux auteurs de crimes internationaux en visite sur son territoire ?

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Marie Lugaz

CONSULTER LE PROFIL
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12 February 2013

 

Le 26 février prochain sera débattue au Sénat français une proposition de loi déposée par le sénateur Jean-Pierre Sueur. Ce texte a pour objectif de modifier l’article 689-11 du Code de procédure pénale français ayant trait à la compétence extraterritoriale des tribunaux français pour poursuivre les étrangers soupçonnés d’être les auteurs de crimes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. L’adoption de cette proposition de loi, outre le fait qu’elle traduirait l’aboutissement d’un travail de longue haleine mené par la Coalition française pour la Cour pénale internationale (CFCPI), permettrait à la France de prouver qu’elle refuse désormais que des auteurs de crimes internationaux trouvent refuge sur son territoire sans avoir à craindre d’être poursuivis.

La France a signé le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome) le 18 juillet 1998 et l’a ratifié le 9 juin 2000. À ce jour, l’analyse de la mise en œuvre du Statut de Rome par la France permet de conclure à la non-conformité de cette transposition par rapport à l’esprit et aux dispositions de ce traité. La mise en œuvre du Statut de Rome a été réalisée par l’adoption de trois lois. La disposition française qui a mené à la proposition de loi déposée par le sénateur Sueur a été introduite dans le Code de procédure pénale par la loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale.

L’adoption de ces différents textes semble bien démontrer la volonté de la France de réaliser l’objectif visé par le Statut de Rome, à savoir la lutte contre l’impunité à l’égard des auteurs de crimes internationaux. L’introduction de l’article 689-11 dans le Code de procédure pénale devait en effet permettre la poursuite et le jugement de ces individus devant les juridictions françaises. Or, en pratique, les conditions d’exercice de la compétence des juridictions françaises restreignent à ce point l’exercice de cette compétence que l’application de cet article est rendu totalement inopérante.

Le problème majeur qui ressort de cette conclusion est qu’elle conduit à une violation du principe de complémentarité de la Cour pénale internationale, inscrit à la fois dans le préambule du Statut de Rome et dans ses articles 17 à 20. Selon ce principe, c’est aux juridictions nationales qu’il revient de poursuivre et de juger les auteurs de crimes internationaux, la Cour pénale internationale n’ayant à l’égard de ces crimes qu’une compétence subsidiaire.

Concrètement, quelles sont les conditions posées par l’article 689-11 du Code de procédure pénale qui mènent à ces difficultés ? Et quelles sont les solutions que la proposition de loi du sénateur Sueur, qui tient compte des recommandations de la CFCPI, tendrait à y apporter ?

La compétence internationale de droit commun des tribunaux français est subordonnée soit à un chef de compétence personnelle, à savoir la nationalité française de l’auteur de l’acte, soit à un chef de compétence territoriale, c’est-à-dire la commission du crime sur le territoire de la République française. L’article 689-11 du Code de procédure pénale permet d’étendre cette compétence à des actes commis à l’étranger par des étrangers, tenant compte ainsi de la gravité des crimes commis et de la nécessité qu’il y a à ce qu’ils ne demeurent pas impunis. Cependant, en posant comme condition à l’exercice de la compétence des tribunaux français la résidence habituelle de l’individu en France, cet article permet à des auteurs de crimes internationaux de se réfugier temporairement sur le territoire français sans avoir à craindre d’être poursuivis. Cette disposition, en faisant de la France une terre d’asile pour les dictateurs, est contraire à l’esprit du Statut de Rome et à son objectif de lutte contre l’impunité. L’avancée fondamentale prévue par la proposition de loi Sueur est qu’elle vise à supprimer cette condition de résidence habituelle de l’auteur des faits en France, en faisant une référence à l’article 689-1 du Code de procédure pénale qui pose comme condition à la compétence des tribunaux français la simple présence de l’individu sur le territoire français. En adoptant un tel texte, la France refuserait enfin de garantir l’impunité aux auteurs de crimes internationaux en visite sur son territoire.

L’article 689-11 du Code de procédure pénale pose également une condition de double-incrimination. En pratique, cela signifie que pour que les tribunaux français puissent exercer leur compétence à l’égard des auteurs de crimes internationaux, les faits commis doivent être incriminés à la fois en droit français et dans le droit de l’État où les actes ont été perpétrés. Force est de constater que le texte ne tient pas compte sur ce point des cas dans lesquels la situation du pays où les actes ont été commis est tellement instable qu’il est rare de trouver dans son droit interne des dispositions incriminant les faits en question. Comme l’a recommandé la CFCPI, la proposition de loi souhaite abolir cette condition, qui n’est par ailleurs pas prévue par le Statut de Rome.

La troisième difficulté posée par l’article 689-11 du Code de procédure pénale est qu’il ne laisse aucune place aux victimes quant au déclenchement des poursuites, laissant sur ce point le monopole au Ministère public. Il s’agit là d’un problème assez complexe qui risque d’ailleurs d’alimenter le débat au sein du Sénat français. En effet, la justice française laisse traditionnellement une large place aux victimes dans le procès pénal en leur permettant de se constituer partie civile. Or, comme l’écrivait Montesquieu dans De l’Esprit des lois, « [c]’est une expérience éternelle que tout homme qui a des pouvoirs est porté à en abuser». Malgré l’encadrement par le droit français de la mise en mouvement de l’action publique par la victime constituée partie civile, il semblerait que le risque d’abus de ce droit réservé aux victimes puisse ralentir l’adoption de la proposition de loi, du fait des débats qu’il est susceptible d’engendrer. Mais dans l’état actuel du droit français, ce monopole des poursuites réservé au Ministère public concernant les crimes contre l’humanité, crimes de génocide et crimes de guerre paraît totalement incohérent, étant donné qu’une victime d’actes de torture peut à l’inverse se constituer partie civile, alors même que ces actes peuvent également être constitutifs de crimes contre l’humanité, crimes de génocide et crimes de guerre. Il apparaît nécessaire que les enjeux liés à la lutte contre l’impunité et aux droits des victimes soient davantage pris en considération par les sénateurs lors du débat du 26 février prochain, afin que la France soit désormais un acteur efficace au sein de la justice internationale pénale.

Enfin, en subordonnant la compétence des tribunaux français au déclin par la Cour pénale internationale de sa propre compétence, l’article 689-11 du Code de procédure pénale inverse le principe de complémentarité du Statut de Rome qui fait des États les acteurs de premier plan au sein de la justice internationale pénale. Cette condition étant une violation pour mauvaise transposition du Statut de Rome, la proposition de loi Sueur tend à la supprimer.

Si la proposition de loi est adoptée, elle entraînera la disparition des obstacles techniques à la poursuite et au jugement des auteurs de crimes internationaux par les tribunaux français. Cette décision symbolique permettrait à la France à la fois de crier haut et fort qu’elle n’est pas une terre de refuge pour ces individus, mais également de prouver qu’elle est prête à jouer le rôle qui lui revient en vertu du Statut de Rome, à savoir celui d’acteur principal dans la lutte contre l’impunité. 

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