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Leçons tirées du cycle de conférence annuel de l’American Society of International Law (2/3) : Comment renforcer le respect du DIH en s'appuyant sur des voix (et des voies) non traditionnelles

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Onglets principaux

Simon François Désiré Dousset

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Français
1 Octobre 2021

Ce billet de blogue est le deuxième de la série de comptes-rendus portant sur la conférence 2021 de l’ASIL, rédigés par les étudiant-e-s d’Osons le DIH dans le but de partager les principaux enseignements de cet événement. La première partie sur les méthodes permettant de diffuser le droit international à une audience non juridique est disponible ici, la troisième partie sur le cas des Rohingyas lu à la lumière des atrocités de masse et de l’apatridie est disponible ici.


Le droit international humanitaire (DIH) et son application en situation de conflit armé se heurtent à plusieurs difficultés : l’absence d’organe de mise en œuvre ou de sanction propre à ce corpus juridique ; son application à l’égard d’acteurs divers au sein des conflits armés, qui ne rentrent pas dans la catégorie dite « traditionnelle » des États. C’est la réunion de ces deux points qui a amené, lors de cette conférence, à se demander par quels moyens – et à travers quelles voix – il serait possible de parvenir à une meilleure mise en œuvre de cette branche du droit international conçue par les États pour régir les conflits armés. Une première méthode peu conventionnelle – au sens figuré comme au sens littéral – présentée par ce billet se trouve dans les commentaires des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels, qui représentent une source non traditionnelle du DIH, à mi-chemin entre la source conventionnelle et la doctrine (I). Dans un second temps, toujours en se basant sur la conférence, ce billet entend apporter des pistes de solution pour inciter les groupes armés à être plus respectueux du DIH (II). Enfin, bien que les règles de DIH s’appliquent principalement aux États et aux groupes armés non étatiques qui respectent les critères d’intensité et d’organisation (tels que définis dans l’arrêt Tadic, au para 70), ce ne sont pas les seuls acteurs concernés par le respect et l’application de ce corpus juridique. Les  conflits armés impliquent de façon directe ou indirecte des acteurs moins traditionnels, qui peuvent avoir une influence sur le comportement des différentes parties au conflit, tels que les chefs religieux, les organisations non gouvernementales, les femmes dirigeantes, mais aussi les acteurs locaux et communautaires. Ce sont ces actrices et acteurs qui seront mis en avant dans un troisième temps dans une optique de meilleure mise en œuvre du DIH (III).

Les « voix » non traditionnelles du DIH : les commentaires des Conventions de Genève

La principale source non-traditionnelle permettant de favoriser la mise en œuvre du DIH abordée lors de cette conférence correspond aux commentaires des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels. Référence incontournable dans l’application et l’interprétation des sources conventionnelles du DIH, ces commentaires ont été rédigés dans le but d’en faciliter leur compréhension et d’uniformiser le plus possible leur interprétation. Ces commentaires ont pour objectif de mettre en lumière et de préciser non seulement le sens, mais aussi l’esprit des règles contenues dans les principaux textes de DIH, afin qu’ils soient appliqués conformément à la volonté des États qui les ont rédigés, en évitant toute lacune, contradiction ou mauvaise interprétation. L’actualisation récente de ces commentaires avait pour objectif d’adapter l’interprétation de ces règles à l’évolution des conflits armés, du droit et de la pratique des acteurs concernés par le DIH et son application. Ce projet s’inscrit dans le cadre de la mission du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), gardien du DIH, dont l’un des mandats est de travailler à la compréhension et à la diffusion de cette branche du droit international. L’équipe d’Osons le DIH travaille par ailleurs en partenariat avec le CICR à Paris pour la production en français des commentaires actualisés, dont celui de la Première Convention a été publié en Février 2021. Entre groupes de recherche universitaires, professeur-e-s, conseillers juridiques et acteurs des conflits armés, ce sont donc des voix moins traditionnelles que les États qui s’expriment à travers une voie qui l’est tout aussi peu : les commentaires.

Après avoir fourni cette explication sur le rôle des Commentaires dans la mise en œuvre du DIH, Jean-Marie Henckaerts, chef du projet d’actualisation des Commentaires - qui est encore en cours - a expliqué que la méthodologie de ce processus se basait sur les règles d’interprétation de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui possèdent un caractère contraignant. Toujours concernant la méthodologie, le fait de prendre en compte la pratique des États dans les commentaires, permet au droit des conflits armés de s’adapter au contexte dans lequel les praticiens du DIH évoluent aujourd’hui. Ces commentaires s’adressent aux acteurs chargés de mettre en œuvre le DIH sur le terrain, mais aussi aux juges ou aux juristes qui agissent en amont (à travers la diffusion) ou en aval (à travers la sanction) de la chaîne de mise en œuvre de ce corpus. Contrairement à la jurisprudence, les commentaires ne s’intéressent pas seulement à un sujet ou à un enjeu juridique particulier, mais à la règle dans son intégralité, en essayant de prévoir et de couvrir le plus de situations possibles.

Les voies non traditionnelles du DIH : les méthodes pour inciter les groupes armés à respecter le droit des conflits armés

Après les commentaires des Conventions de Genève, le second point qui fut abordé durant la conférence concernait les raisons qui poussent les groupes armés non-étatiques à prendre les civils pour cible dans les conflits. Tanisha Fazal, de l’Université du Minnesota, identifie les groupes qui, en raison de leurs motivations politiques, sont susceptibles de cibler la population civile. Selon elle, c’est la raison pour laquelle ils se battent qui détermine la manière dont ils mènent leurs opérations, opérations qui ne se conforment pas toujours aux règles du DIH. Ses recherches ont montré que ce sont les groupes séparatistes qui sont le plus susceptibles de se conformer aux règles de DIH, et ce pour des raisons politiques et militaires. En effet, étant donné que les groupes séparatistes aspirent généralement à s’établir en tant qu’autorité politique dans leurs régions respectives dans l’optique de former un État, le fait de se conformer au DIH peut leur donner une certaine légitimité au regard de la scène internationale, leur permettant ainsi d’atteindre leurs objectifs politiques. Ensuite, d’un point de vue démographique, ils sont moins susceptibles de lancer des attaques contre les civils qui constitueront éventuellement la population de l’État qu’ils souhaitent contrôler. En conséquence, Mme Fazal explique que d’un point de vue stratégique, les groupes séparatistes sont ceux à travers lesquels le travail serait le plus simple et efficace pour inciter groupes armés à respecter le DIH. 

À la suite de cette intervention, ce fut au tour de Pascal Bongard, Chef de l’unité politique et juridique de l’organisation Geneva Call de s’exprimer. Geneva Call est une organisation humanitaire qui œuvre pour renforcer le respect du DIH par les groupes armés non étatiques. L’organisation travaille auprès de ces groupes pour leur apprendre les règles de DIH et les encourager à les respecter. À travers cette plateforme, les groupes armés peuvent signer des documents les engageant formellement à respecter le DIH. Au cours de son intervention, M. Bongard a notamment abordé le rôle des groupes armés non-étatiques dans la promotion du respect du DIH dans les conflits armés. En effet, alors que les groupes armés non-étatiques sont souvent perçus comme ne respectant pas le DIH et exerçant une influence négative sur la mise en œuvre de celui-ci, Pascal Bongard soutient qu’ils peuvent au contraire avoir une influence positive. Il serait ainsi essentiel de les inclure dans les stratégies de mise en œuvre de ce droit. Il explique notamment que si des groupes armés non-étatiques décident de se conformer au DIH et témoignent de cet engagement publiquement, à travers la plateforme Geneva Call par exemple, cela peut avoir pour effet de mettre en place une certaine pression indirecte envers leurs pairs et ainsi encourager d’autres groupes à prendre des engagements similaires. Cela pourrait en outre favoriser le respect du DIH par un plus grand nombre d’acteurs. À titre d’exemple, il a mentionné l’expression de la volonté de la Sudan’s People Liberation Army (SPLA) au Soudan du Sud de se conformer à l’interdiction de l’utilisation des mines anti-personnel. 

Au-delà de la pression par les pairs qui peut exercer une influence sur le comportement des groupes armés en situation de conflit, le fait d’engager la discussion avec certains membres du réseau d’un groupe armé non-étatique donné pourrait contribuer à faire passer le message aux dirigeants du groupe sur la nécessité de se conformer au DIH. Au Sénégal par exemple, des discussions ont été entreprises avec des membres d’une communauté qui avaient des liens avec des membres de groupes armés, afin que ces personnes puissent sensibiliser leurs contacts au sein des groupes armés pour les pousser vers une meilleure application du DIH.

M. Bongard a finalement rappelé que ce respect du DIH par les groupes armés peut venir des États car, dans les cas où les groupes armés non-étatiques sont soutenus par un État, en vertu de l’article 1 des Conventions de Genève de 1949, ce dernier a l’obligation de « faire respecter » les dispositions des conventions en toutes circonstances. Si les groupes armés soutenus par un État refusent de se conformer au DIH, cela constitue alors une violation des obligations internationales de cet État.

III.La religion et le DIH : de nouvelles voix pour ouvrir une nouvelle voie respectueuse du droit des conflits armés

Enfin, la dernière panéliste à intervenir, Nontando Habede du St-Augustine College, a quant à elle abordé le rôle de la religion, plus particulièrement des valeurs religieuses dans la promotion du respect du DIH. Le fait que le DIH repose, à la base, sur le principe d’humanité - qui vise à limiter autant que possible les maux et les dommages causés par la guerre, réduisant au strict nécessaire l’emploi de la violence - trouve un certain écho avec les valeurs religieuses qui promeuvent le vivre ensemble, le respect d’autrui ou encore la paix – bien qu’il soit nécessaire de rappeler ici que le DIH et le droit de la paix ou de faire la guerre sont deux droits différents.  Cependant, dans l’application du principe d’humanité, Mme Habede soulève que la religion peut parfois devenir son propre ennemi : elle est parfois de nature à créer des différences, or, en ne considérant pas l’autre comme son égal, on ne considère pas qu’il soit important de le traiter avec humanité. C’est cette « déshumanisation » de l’autre qui a notamment été le moteur du génocide au Rwanda. Mme Hadebe souligne également que l’inégalité des genres est exacerbée par ce phénomène, et n’est souvent pas prise en compte. Une solution potentielle serait de déconstruire cette idée de « nous » contre les « autres » portée par la religion dès le départ. En effet, la religion peut, tout comme le droit, évoluer de manière à prendre en compte la dignité de tous les êtres humains, et ce quelle que soit leur religion. Pour cela, il faut combler le fossé entre les différentes religions, et promouvoir une plus grande coopération entre les chefs religieux, qui ont souvent une grande influence au sein de la communauté civile, mais également à l’intérieur des forces armées ou des groupes armés. Les acteurs religieux peuvent donc jouer un rôle capital dans la promotion du respect du DIH, particulièrement du principe d’humanité sur le champ de bataille.

Pour conclure, Jean-Marie Henckaerts mentionne que le DIH ne sera jamais complètement respecté, car il s’applique dans les pires situations, les plus chaotiques. Cependant, en sensibilisant une pluralité de voix et de voies, traditionnelles et non traditionnelles, il est possible de réussir à améliorer le respect et la mise en œuvre de ce droit. Tous ces acteurs, les États, les membres de la société civile, les groupes armés non-étatiques, les leaders religieux ou encore les journalistes et les universitaires, ont le pouvoir de transposer le DIH dans la réalité. Pour cela, toutes ces voix doivent s’allier dans l’atteinte d’un but commun : atténuer les souffrances de la guerre.


Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.  


La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

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