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CPI et CAJDH : Vers un nouvel horizon pour la justice pénale internationale

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22 Décembre 2014

 

Un pas de plus a été franchi en Afrique, au niveau régional, à la suite de l’adoption officielle, lors de la 23e session ordinaire du Sommet de l’Union Africaine (UA) le 27 juin 2014, du Protocole portant amendements au Protocole portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme (ci-après « Protocole ») visant à instituer une Chambre criminelle (ci-après « Chambre ») à la future Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples (ci-après « CAJDH »). Divers enjeux et problématiques soulevés par les commentateurs se posent, d’autant plus que le statut juridique de la Chambre par rapport à la Cour pénale internationale (ci-après « CPI ») demeure nébuleux. Effectivement, le débat reste ouvert à savoir si la coexistence de ces deux cours se traduira par une saine coopération ou par une entrave mutuelle. Dans ce contexte, nous proposerons une position favorable à l’émergence d’un véritable système pénal régional, considérant l’initiative comme une contribution au développement de la justice internationale. Ainsi, notre réflexion sera axée, d’une part, sur l’appréciation de la conformité de la CAJDH aux principes régissant la complémentarité adoptée à l’article 17 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (ci-après « Statut de Rome »); d’autre part, sur l’opportunité proprement juridique de la mise en place de celle-ci, au regard de la spécificité du continent africain. Plus précisément, notre analyse s’orientera sur les éléments suivants : le renforcement de la coopération, de l’État de droit et des capacités des juridictions nationales et la prise en charge des crimes qui échappent à la compétence de la CPI. Les éventuelles difficultés de mise en œuvre de la Chambre, notamment d’ordres matériel, financier et pratique sont sciemment écartées afin de mettre l’accent les enjeux juridiques.

Une Chambre criminelle africaine conforme au Statut de Rome

L’un des horizons les plus prometteurs pour l’avancée de la justice pénale internationale est celui du principe de complémentarité dite « positive ». Conformément à  l’article 17 du Statut de Rome, les tribunaux nationaux ont la compétence per se et a priori d’engager des poursuites ou d’enquêter sur des crimes internationaux commis dans le champ de leur juridiction. Toutefois, la CPI peut se saisir d’une situation où l’incapacité ou le manque de volonté d’un État est constaté afin d’agir à titre subsidiaire dans un dossier qui autrement n’aurait pas été mené à terme. La complémentarité positive constitue l’assistance et l’entraide dont peuvent bénéficier les États.

Une compréhension large du principe de complémentarité positive, comprenant tant le niveau national que régional (vu comme un « programme de coopération entre les États eux-mêmes […] par l'entremise d'organisations internationales et régionales […]») répondrait au vide juridique du Statut de Rome à ce sujet. Loin de prospectivement constituer une concurrence ou une entrave à la CPI, nous voyons plutôt dans cet élan une possibilité de lutte multidimensionnelle à l’impunité. Plusieurs indices législatifs militent en faveur de cette interprétation. Rappelons d’abord que la CPI a été instituée afin de juger des « crimes les plus graves » (articles 1 et 5(1) du Statut de Rome). De telles mentions ne figurent pas dans l’article 28A du Protocole disposant de la compétence de la Chambre criminelle, ce qui laisse croire que les vocations des deux cours, à leur face même, visent des crimes d’envergures différentes. Dès lors, dans la perspective d’une justice pénale internationale pensée dans sa globalité, certains crimes moins « graves » qui n’auraient peu voire aucune chance d’être saisis par la CPI, pourraient tout de même être jugés par la Chambre criminelle (articles 46Ebis, 46F et 46H du Protocole). Plus de criminels seraient ainsi appréhendés (articles 28N et 46B (4) du Protocole) !

Devant les interrogations soulevées par l’absence de mention de la CPI dans le Protocole[i], il n’en demeure pas moins pertinent d’accorder une attention particulière au libellé de l’article 46L (3) du Protocole. Selon cette disposition, la CAJDH a « le droit de chercher à coopérer ou à se faire aider » par « les cours internationales ». Nous y voyons une base voire une ouverture législative pour la construction de liens positifs entre la Chambre et la CPI. Ainsi à l’aune du principe général de complémentarité, cet article s’avèrerait être une main tendue pour une cohabitation saine entre système régional africain et CPI.

Semblant avoir à cœur de combler le vide juridique d’un Statut de Rome n’ayant pas explicitement prévu l’éventuelle émergence de systèmes régionaux pénaux, l’amendement proposé par le Kenya en 2013 suggère une modification du préambule. Ce dernier « reconnaîtrait » les mécanismes régionaux, chapeautés du même principe de complémentarité que pour les juridictions nationales. Outre ses chances de réussite, nous soutenons qu’un tel amendement serait souhaitable afin d’entériner la teneur des possibles relations CPI-CAJDH. Une telle mise à jour du Statut de Rome serait ainsi sensible à la physionomie changeante de la justice pénale internationale. Pourtant, il ne nous semble pas nécessaire de modifier le Statut de Rome puisque, pour reprendre les mots de Du Plessis, Louw et Maunganidze, « une compréhension africaine riche de la complémentarité – impliquant les états africains, les organisations régionales et la société civile qui travaillent dans un partenariat créatif et adapté afin de supporter les objectifs de la CPI – est un ingrédient clé pour le projet de justice pénale internationale sur le continent »[ii] [notre traduction]. Comme présenté précédemment, les principes sous-tendant la CPI seraient des outils interprétatifs assez fertiles pour remédier au silence du Statut de Rome soulevé ci-haut.

Une coopération facilitée dans un système régional intégré

Un élément essentiel qui sous-tend le principe de complémentarité « positive » est la coopération des États aux travaux des cours de justice internationale. Dans le même sillon entamé par la CPI, une telle chambre africaine pourrait bénéficier d’une coopération accrue de la part des États du continent pour plusieurs raisons. D’une part, la proximité géographique (la nouvelle cour aura son siège à Arusha, Tanzanie : article 25 du Protocole) facilitera les échanges, la collecte des preuves et le travail de la Chambre criminelle, tout en réduisant les coûts afférents. D’autre part, le sentiment d’appartenance créé par un système régional contribuera potentiellement à assurer l’engagement et la participation des États africains aux enquêtes de la Chambre criminelle. A fortiori, puisque la CAJDH fera partie des organes de l’UA, cette dernière répondant à une obligation légale en créant la Chambre criminelle, pourra aussi, selon le libellé de l’article 46L (3) du Protocole, fournir des ressources diversifiées. À l’instar de la collaboration qui a vu le jour entre la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et l’actuelle Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, notons la capacité du Conseil de Paix et de Sécurité d’ester en justice (article 15 du Protocole). Devant un État récalcitrant, certaines pressions politiques pourraient être ainsi faites par le système continental que représente l’UA.

Renforcer l’État de droit

En conséquence des points soulevés, c’est-à-dire d’une complémentarité positive et d’une coopération approfondie avec les États et autres organisations, l’élargissement de la compétence de la CAJDH permettra en outre de consolider l’État de droit, l’un des objectifs de la CPI, en Afrique. Les précédents créés par la future Chambre criminelle permettraient d’enrichir la justice pénale internationale, décisions dont les cours nationales pourraient s’inspirer et qui auraient pour vertu de mieux cadrer avec les cultures juridiques distinctes en Afrique. La volonté de justice se fait également sentir par la création d’un bureau de la défense en tant qu'organe autonome (article 22C (2) du Protocole), autre testament de l’originalité et de la vision africaines. De plus, ce nouvel acteur, fort de l’aide d’un système régional de plus en plus efficace, pourra avoir un regard plus aiguisé et ciblé, considérant sa compétence moins étendue territorialement que celle de la CPI, sur les crimes commis sur le continent et contribuer à la lutte contre l’impunité. Aussi, la CAJDH, qui sera une émanation directe de la souveraineté des États africains, aura une plus grande légitimité aux yeux du continent.

En outre, le Protocole prévoit une série de crimes nouveaux et inédits en droit international pénal. Les articles 28E à 28L bis du Protocole incluent, entre autres, les crimes relatifs au changement anticonstitutionnel de gouvernement, de piraterie et d’exploitation illégale de ressources naturelles[iii] qui traduisent la spécificité africaine, tout en faisant état de l’avant-garde des initiatives législatives du continent. À l’exemple des droits de l’homme dits de troisième génération, le système africain fait encore une fois preuve d’innovation pour répondre aux problématiques et changements sociaux contemporains propres au continent. Bien que certains se questionnent sur la clarté de la définition de ces infractions et leur portée, nous y voyons plutôt une contribution à la codification des crimes ayant une portée internationale. Compte tenu de la réalité africaine, nous croyons que ces crimes nouvellement internationalisés apporteront tant aux cultures juridiques nationales qu’au droit international pénal, une vue sans précédent qui renforcera d’autant l’État de droit à tous ses niveaux.

Une pertinence réelle voire une opportunité

Dans une approche plus sociologique, l’inclusion de ces nouveaux crimes dans le Protocole témoigne de la nature unique et singulière du continent noir. Similairement, les interprétations et les solutions qui pourront être amenées sauront mieux refléter les particularités des peuples africains. L’actualité récente nous éclaire. En effet, le président burkinabé Blaise Compaoré entendait changer la constitution en vue de se maintenir à la tête du pays, velléités qui semblent avoir un caractère épidémique. Dans ce contexte, l’article 28 E (e) du Protocole  prend  tout son sens. C’est un exemple patent qui illustre comment le Protocole peut être utile pour éviter la perpétuation de telles situations. La codification de ces crimes démontre les préoccupations et la volonté du continent de créer une justice adaptée, compétente, qui assurerait une plus grande efficacité lorsque l’Afrique s’investirait de la mission de juger ses criminels.

Parallèlement, le futur instrument régional permettra, par la mise en commun des ressources et la désignation des crimes, de pallier les insuffisances chroniques des juridictions nationales lorsque viendra le temps de juger de crimes internationaux. La fédération des forces et l’établissement d’une législation au diapason des changements sociaux contribueront à éviter de devoir mettre en place des chambres extraordinaires et tribunaux mixtes à chaque fois qu’il faudra traduire un criminel africain en justice. Les exemples sont parlants de ces cas où l’incapacité d’une juridiction nationale a mené à l’institution de tribunaux ad hoc, pensons aux Chambres extraordinaires africaines et au Tribunal spécial pour la Sierra Leone. La Chambre criminelle pourra répondre, pour le futur, des deux enjeux qui menèrent à la création de ces tribunaux, comme le recommande ce rapport (section IV) de 2006 d’éminents juristes africains sur l’affaire Habré. Un système régional sera plus à même de s’inspirer des législations internes tout en ayant une forte composante internationale. Ce faisant, les juges qui auront siégé à la Chambre criminelle bénéficieront d’une expérience profitable qui saura résonner au niveau des États.

Optimisme plutôt que scepticisme

Nous avons pris parti en faveur de la création d’une Chambre criminelle au sein de la CAJDH. Soutenant qu’une complémentarité positive alimentera les relations entre les États africains, la CAJDH et la CPI, l’initiative de l’UA devrait concourir à la lutte contre l’impunité et à la consolidation du droit international pénal. C’est également la  singularité du continent qui nous fait croire au mérite de la compétence élargie de la CAJDH. Une justice par l’Afrique pour l’Afrique, augure de volontarisme et de coopération et nous semble, à bien des égards, répondre à plusieurs préoccupations bien actuelles qui interpellent cette région. Que ce soit le sentiment subjectif que certains ont de la relation entre la CPI et l’Afrique ou encore la possibilité qu’offrirait la Chambre criminelle de juger plus de criminels avec plus de célérité que ne peut le faire la CPI seule, la Chambre criminelle de la CAJDH nous paraît être une solution idoine, apte à renforcer l’État de droit sur le continent.

Maints défis jonchent encore le processus de mise en œuvre de la Chambre, qu’il s’agisse du nombre insuffisant de juges prévu, de la faiblesse du financement prévu ou de l’absence de mention de la CPI laissant planer le spectre d’une complémentarité négative – et ce dans le contexte de l’immunité accordée aux chefs d’états et de fragilités structurelles des démocraties –, nous voyons néanmoins dans cette initiative un mécanisme et un instrument positifs à parfaire et à améliorer. En définitive, l’établissement d’un système africain compétent pour les crimes internationaux pourvoira ainsi à insuffler un nouvel élan à la dynamique de la justice internationale pénale.

 


i Kristen RAU, « Jurisprudential Innovation or Accountability Avoidance? The International Criminal Court and Proposed Expansion of the African Court of Justice and Human Rights », (2012-2013) 97 Minn L Rev 677.

ii Max DU PLESSIS, Antoinette LOUW, Ottilia MAUNGANIDZE, « African efforts to close impunity gap », Institute for Security Studies Paper, n° 241, Novembre 2012, p. 2.

[iii] La pertinence de ce crime étant renforcée par la compétence octroyée à la future Chambre par l’article 46C du Protocole de juger de la responsabilité pénale des entreprises.

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

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