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L’audience intermédiaire suspendue dans l’affaire du génocide Maya Ixil*

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Dominic Voisard

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19 Septembre 2012

 

L’auteur, Dominic Voisard, est un ancien étudiant de la Clinique de droit international pénal et humanitaire qui effectue son stage du Barreau du Québec auprès d’Avocats sans frontières Canada. Cet article a été écrit pour Avocats sans frontières Canada et publié sur leur blogue. La Clinique tient à remercier ASFC pour leur collaboration appréciée à la formation professionnelle des étudiants de l’Université Laval.

Le juge de première instance (Juez de Mayor Riesgo B) Miguel Ángel Gálvez a convoqué lundi dernier, le 20 août 2012, l’ouverture de l’audience intermédiaire dans le procès à l’encontre de José Efraín Ríos Montt (ex-président du Guatemala, ex-commandant général de l’armée et ex-ministre de la Défense), Héctor Mario López Fuentes ( ex-chef d’État-major) et José Mauricio Rodríguez Sánchez (ex-chef du service de renseignement militaire), inculpés du crime de génocide et de crimes contre l’humanité. Cette phase procédurale est similaire à l’enquête préliminaire dans la procédure pénale canadienne, c’est-à-dire qu’elle a pour objectif la lecture de l’acte d’accusation par le ministère public ainsi que la présentation de la preuve recueillie lors de l’enquête, afin que le juge détermine si la preuve présente au dossier est suffisante pour convaincre un tribunal pénal de la responsabilité des accusés pour chaque chef d’accusation.

Cela dit, le juge devait régler les 14 recours préliminaires soumis par les avocats de la défense avant que le procureur puisse présenter l’acte d’accusation. Lundi et mardi, le juge a rejeté 8 recours préliminaires présentés par les avocats de la défense. La plupart de ces recours visaient la récusation de témoins experts ou s’objectaient aux conclusions des rapports de ceux-ci. Or, en réponse à tous les recours soumis par la défense, le juge décida qu’il ne s’agissait pas de l’étape procédurale opportune pour présenter ce type de recours et que ce ne sera que lors du procès que le tribunal pourra apprécier les motifs de récusation ainsi que la valeur probante de la preuve soumise par le procureur. La preuve soumise à l’étape intermédiaire doit soulever un doute raisonnable (sospecha fundada) concernant la culpabilité de l’accusé selon l’article 332 du Code de procédure pénal guatémaltèque. À cette étape, le contenu de la preuve documentale soumise est avérée, ce n’est que lors de l’étape suivante intitulée ofrecimiento de prueba que le tribunal pourra entendre les objections de la défense concernant les moyens de preuve.

Mercredi matin avant le début de l’audience, les avocats de la défense ont présenté par écrit un recours déclinatoire de compétence. Selon l’avocat de José Mauricio Rodríguez Sánchez, César Calderón, la procédure prévue dans la loi de réconciliation nationale (loi d’amnistie ratifiée en 1996 lors de la signature des accords de paix mettant fin à la guerre civile au Guatemala) selon laquelle les délits de droit commun seront soumis à la Cour d’appel qui décidera de l’extinction ou non de la poursuite pénale contre les accusés devrait être respectée par le juge de première instance. Or l’article 11 de la Loi de réconciliation nationale est très clair et établit que: «los delitos que están fuera del ámbito de la presente ley o los que son imprescriptibles o que no admiten extinción de la responsabilidad penal de acuerdo al derecho interno o a los tratados internacionales aprobados o ratificados por Guatemala se tramitarán conforme el procedimiento establecido en el Código Procesal Penal». En d’autres mots, les crimes internationaux ne sont pas sujets à amnistie et seront jugés conformément à la procédure prévue au Code de procédure pénale guatémaltèque. Les avocats de la défense de Rios Montt ont utilisé la même tactique dilatoire dans l’affaire du massacre de Las Dos Erres. Même si le recours semblait prima facie infondé en droit, cette tactique leur a permis de retarder le procès de plusieurs mois, le temps que les cours supérieures tranchent la question.   

Cela a d’ailleurs poussé l’ONG Centre pour l’action légale en droits humains (CALDH), où j’effectue mon stage du Barreau pour ASFC, à convoquer une conférence de presse pour dénoncer les tactiques dilatoires des avocats de la défense. En effet, le juge avait refusé de déclarer cette tactique procédurale frivole, permettant ainsi à la défense de retarder la procédure pour plusieurs mois.
http://www.s21.com.gt/nacionales/2012/08/23/denuncian-tacticas-dilatorias-proceso-genocidio.

CALDH a également dénoncé les actes de discrimination et d’intimidation commis lors de l’audience de lundi dernier alors que plusieurs victimes portant le huipil traditionnel (jupe traditionnelle maya) ont été empêchées de participer à l’audience sous prétexte qu’il n’y avait plus d’espace libre dans la salle d’audience, or les personnes présentes dans la salle d’audience, dont moi-même, ont confirmé que plusieurs sièges étaient libres. L’avocat Edgar Peréz, représentant de l’organisation plaignante Association pour la justice et la réconciliation (AJR), a dû intervenir auprès du juge Miguel Ángel Gálvez afin qu’il vérifie s’il y avait un ordre émis par le chef de la sécurité pour empêcher l’accès des victimes à l’audience. Quelques minutes plus tard, les quelques individus dont l’accès avait été empêché ont pu entrer dans la salle d’audience, toutefois le juge est resté muet sur cette situation préférant se concentrer sur l’audience qu’il menait à terme. De plus, CALDH a dénoncé la fouille discriminatoire exercée systématiquement à l’encontre des guatémaltèques d’origine maya et des défenseurs des droits de la personne, alors que la fouille est presque inexistante lorsqu’il s’agit d’un proche des accusés.

Finalement, CALDH a dénoncé les actes d’intimidation commis par des agents du service de renseignements qui prennent en photo les victimes ainsi que les défenseurs des droits de la personne présents à l’audience. Plusieurs commentaires à l’encontre des étrangers présents sont faits par les proches des accusés cherchant à effrayer les gens présents.
http://www.prensalibre.com/noticias/Denuncian-racismo-audiencias-genocidio_0_761324132.html

La réponse du juge de première instance sur le recours d’incompétence déposé par la défense sera rendue par écrit dans les prochains jours. Si le juge se déclare compétent pour poursuivre le procès pénal et rejette du même coup l’application de la loi d’amnistie, le processus d’appel logique anticipé par le ministère public et les avocats des plaignants est l’appel à la cour d’appel. Si la résolution de cette cour confirme la décision du juge de première instance, les défenseurs pourraient tenter une action d’amparo (recours qui vise à prévenir qu’une violation des droits constitutionnels d’une personne soit commise ou à réinstaurer ses droits constitutionnels par la réparation) et demander la suspension du procès pénal jusqu’à la décision sur le fond. Cette procédure retarderait de plusieurs mois le procès pénal. Espérons que les juges des instances supérieures résoudront rapidement ces demandes afin que justice puisse être rendue.

 

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