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Le mandat d'arrêt de la CPI

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David Vachon-Roseberry

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24 Juin 2014

 

Le droit de ne pas faire l'objet d'une détention arbitraire constitue un droit fondamental et absolu, étant considéré comme une norme de jus cogens (par. 11). Au Canada, par exemple, la Charte canadienne des droits et libertés prévoit à son article 9 que « chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires ». Étant une grave atteinte à la liberté, il va de soi que les mécanismes légaux prévoyant l'emprisonnement ou la détention doivent être des plus rigoureux. En raison de l'influence qu'elle exerce, la Cour pénale internationale se doit d'offrir toutes les garanties juridiques et procédurales nécessaires au respect effectif du droit fondamental à la liberté. Nous verrons tout d'abord de quelle manière s'insèrent ces garanties dans le processus d'émission du mandat d'arrêt de la CPI. Nous commenterons ensuite, brièvement, la délicate question de son exécution, car le contrôle ou l'absence de contrôle national du mandat d'arrêt a également des répercussions sur l'application concrète du droit de ne pas faire l'objet d'une détention arbitraire.

1. La délivrance du mandat d'arrêt

D'entrée de jeu, précisons qu'avant d'entamer la procédure judiciaire de l'émission du mandat d'arrêt (ci après  
« MA »), il faut que la CPI soit saisie d'une situation (
Statut de Rome, art. 12 à 15). Une fois cette étape franchie, le Procureur (Bureau du Procureur) devra présenter une requête à cet effet devant la Chambre préliminaire de la CPI (Statut de Rome, art. 58). Cette procédure pourra se dérouler à huis clos et ex parte et, en cas contraire, la Chambre peut inviter ou autoriser tout État, organisation ou individu à lui présenter des observations (Règlement de procédure et de preuve, Règle 103) par écrit ou oralement sur toute question qu'elle estime appropriée. Après l'audition et afin de délivrer le MA, la Chambre préliminaire devra répondre par l'affirmative à quatre questions.

Tout d'abord, la Chambre préliminaire devra se demander si l'affaire relève de sa compétence et si elle est recevable (Statut de Rome, art. 17, et Bashir, par. 35 à 51). En vertu de l'art. 19, par. 1, du Statut de Rome, la Chambre préliminaire « est tenue de s’assurer que toute affaire portée devant elle relève de [sa compétence] » (Bashir, par. 35). Comme nous les verrons plus loin, une certaine controverse existe quant à savoir si la Chambre « doit » ou « peut » statuer sur la recevabilité de l'affaire. Il semble clair, à la lecture de l'art. 19, par. 1, du Statut de Rome, que cette question relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. En effet, cette disposition mentionne que la Cour « peut d'office se prononcer sur la recevabilité de l'affaire ». Dans la décision Bashir, aux paragraphes 46 à 51 (voir, au même effet, cette décision, p. 5), la Cour mentionne qu'elle ne statuera sur la recevabilité que dans des « circonstances exceptionnelles », lorsqu'une « cause apparente » ou un « facteur évident » l'y commandera. En employant les termes « semble être recevable » dans la situation de l'Ouganda, la Chambre préliminaire II a jugé qu'il suffit de conclure à une preuve prima facie de recevabilité (voir les décisions de la Chambre préliminaire II concernant Joseph Kony (par. 38), Vincent Otti (par. 38), Okot Odhiambo (par. 28), Dominic Ongwen (par. 26) et Raska Lukwiya (par. 26)). Cependant, la Chambre préliminaire I s'est ultérieurement dissociée de cette interprétation en affirmant que la détermination de la compétence et de la recevabilité de l'affaire constitue une condition préalable (« prerequisite ») à la délivrance du MA (voir cette décision, par. 9)[1]. À notre avis, faire de la recevabilité une condition préalable équivaut à lier le pouvoir discrétionnaire octroyé par l'art. 19, par. 1, ce qui constitue une erreur de droit, bien que la Cour soit tenue de se pencher sur la question lorsque contestée (Statut de Rome, art. 18 et 19).

En second lieu, en vertu de l'art. 58(1) a) du Statut de Rome, la Cour doit se demander s'il existe des motifs raisonnables de croire qu’au moins un des crimes relevant de la compétence de la Cour a été commis (voir cette décision, par. 52 et s.)[2]. Ainsi, selon cette décision, « la Chambre se demandera tout d’abord s’il y a des motifs raisonnables de croire que les éléments contextuels des crimes allégués dans la Requête de l’Accusation sont réunis et, dans l’affirmative, elle étudiera la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que les éléments spécifiques de l’un de ces crimes sont réunis ». Les éléments contextuels représentent le contexte dans lequel s'insèrent les crimes et sont libellés, par exemple, par les termes « dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique » (nos soulignés). Bien que l'art. 21(1) a) du Statut de Rome stipule que les Éléments des crimes constituent une source d'interprétation des dispositions du Statut de Rome, ceux-ci font cependant l'objet d'une controverse quant à leur statut juridique, tel que l'a démontré l'affaire Bashir[3]. Quant à eux, les « éléments spécifiques » représentent les éléments constitutifs de l'infraction reprochée, soit l'actus reus et la mens rea du crime international.

En ce qui a trait à la question de savoir s'il y a des motifs raisonnables de croire que l'individu est « pénalement responsable » d'un des crimes mentionnés à l'acte d'accusation, nous référons le lecteur à l'art. 25 du Statut de Rome. En effet, cette disposition est claire et reflète les principes généralement reconnus de responsabilité, notamment ceux de la complicité et de la tentative[4].

Enfin, la Cour doit se demander si les exigences prévues à l'art. 58 du Statut de Rome sont remplies. En d'autres mots, elle devra conclure que l'arrestation de l'individu est nécessaire au sens de l'art. 58(1) b). Le MA sera délivré pour s'assurer que la personne comparaîtra devant la Cour, qu'elle ne fera pas obstacle au processus d'enquête ou judiciaire ou enfin, qu'elle ne poursuivra pas l'exécution du crime dont il s'agit ou d'un crime connexe relevant de la compétence de la Cour et se produisant dans les mêmes circonstances. Ces critères ont le mérite d'être clairs et de ne laisser que peu de place à l'ambiguïté, contrairement, par exemple, au Code criminel canadien qui offre la possibilité de procéder à la détention lorsque cela est « nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice » (art. 515(10)c)), ce qui laisse au juge une grande discrétion. Nous sommes cependant d'avis que le Statut de Rome aurait dû préciser davantage ce que constitue un « obstacle » au processus d'enquête ou judiciaire, car ces termes larges pourraient, bien que ce ne fut jamais le cas à ce jour, mener à des ordonnances de détention arbitraire, non fondées sur des motifs sérieux. Un mécanisme supranational de contrôle des détentions arbitraires existe grâce au Groupe de travail sur la détention arbitraire, mais il est déplorable que son mandat (par. 68 à 75)[5] ne couvre pas les tribunaux internationaux. En effet, le Groupe veut éviter d'empiéter sur les activités du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), mais celles-ci ne concernent que très peu la vérification de la conformité des législations et des décisions, et la crédibilité du CICR a été fortement affaiblie par ses avis juridiques discutables sur le conflit en Afghanistan[6]. De plus, « faire obstacle » ne remplit pas les critères de « prévisibilité » et de « précision », critères essentiels à la légalité d'une disposition[7], ce qui amenuise la sécurité juridique du MA. Pour conclure, mentionnons que lorsque les critères de l'art. 58(1) b) ne sont pas remplis, mais que la Cour a répondu par l'affirmative aux trois questions précédentes[8], elle délivrera à l'accusé un mandat d’arrêt ou une citation à comparaître assortie ou non de conditions (Statut de Rome, art. 58(7) et affaire Bashir, par. 28 à 31). Il est cependant peu ardu de concevoir qu'un individu accusé devant la CPI, pour avoir commis un ou plusieurs crimes très graves, pourrait être tenté d'abuser de sa qualité officielle pour faire de la pression sur des témoins ou simplement pour ne pas comparaitre.

Il ressort de l'analyse des critères d'émission du MA que ceux-ci créent, somme toute, l'équilibre entre le droit de ne pas faire l'objet d'une détention arbitraire et le devoir de la CPI de réprimer les crimes graves. Cependant, cette procédure de détention se déroulant en deux temps, soit l'émission et l'exécution, nous verrons que cette seconde étape vient contrecarrer les efforts de la CPI d'appliquer le droit pénal international.

2. L'exécution du mandat d'arrêt

Ne bénéficiant d'aucune police, la CPI doit s'en remettre aux États afin que ceux-ci procèdent à l'arrestation et à la remise de l'accusé. En vertu de l'obligation des États de coopérer avec la CPI prévue à l'art. 86 du Statut de Rome, il relève donc de leur responsabilité d'exécuter le MA. Lorsqu'une situation a été déférée à la CPI par le Conseil de sécurité, cette obligation de coopération s'étend à tous les États membres de l'ONU. Assistée du Greffe, la Chambre préliminaire est le seul organe compétent pour « établir et transmettre une demande de coopération sollicitant l’arrestation et la remise d’une personne » (affaire Bashir, par. 237). En cas de non collaboration d'un État, la Chambre pourra en informer l'Assemblée des États parties au Statut de Rome ou le Conseil de sécurité lorsque c'est celui-ci qui a saisi la CPI (Statut de Rome, art. 87 par. 5 b) et par. 7). Par exemple, le 25 mai 2010, la Chambre préliminaire a ordonné au Greffe d'informer le Conseil de sécurité du manque de collaboration du Soudan, car aucun des trois mandats d'arrêt délivrés contre des dirigeants soudanais n'avaient été exécutés[9]. Ce manque flagrant de pouvoir coercitif démontre, selon notre avis, une grande faiblesse de la CPI, car l'impunité règne toujours pour plusieurs auteurs de crimes internationaux. Il est certes peu probable que le Statut de Rome se voit un jour conférer un réel pouvoir d'aller se saisir physiquement des accusés, car la souveraineté pénale étatique constitue le droit régalien des États. Les atteintes à ce droit sont rarement et difficilement négociées et ne sont malheureusement, à ce jour, limitées qu'à la bonne volonté des États.

En conclusion, nous pouvons affirmer que le cadre juridique actuel de la délivrance du mandat d'arrêt de la CPI respecte efficacement le droit à la liberté. Les quelques ambigüités, inhérentes à tous textes de loi, ne sont que mineures et peu problématiques. Cependant, le nerf de la guerre consistera, dans les prochaines années, à augmenter le pourcentage d'exécution des mandats d'arrêts, car leur faible exécution mine le fragile équilibre international entre le droit à la liberté et le devoir de poursuivre les auteurs d'actes criminels. Un contrôle supranational des détentions, tel celui exercé par le Groupe de travail sur la détention arbitraire n'est pas           « nécessaire », mais souhaitable afin d'améliorer la crédibilité de la CPI auprès des États qui auront ainsi tendance à mieux coopérer. Cette augmentation de coopération des États pourrait aussi s'obtenir en légiférant des pouvoirs concrets de coercition, mais nous ne devrions choisir cette option qu'en dernier lieu, car elle apporte avec elle une importante atteinte à la souveraineté pénale étatique. De plus, la réalisation de cette seconde option s'avère toutefois peu probable, mais les attentats du 11 septembre 2001 nous ont appris que les moeurs peuvent parfois changer très rapidement.

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Ce billet ne lie que la ou les personnes l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


[1] À ce propos, voir également Mohamed M. El Zeidy, « Some Remarks on the Question of the Admissibility of a case during Arrest Warrant Proceedings before the International Criminal Court » (2006) 19 Leiden J. Int’l L 741. Rappelons qu'avant d'ouvrir une enquête, le Procureur évalue la recevabilité de l'affaire en vertu de l'art. 17 du Statut de Rome et que l'admissibilité peut aussi être étudiée dans le cadre de l'art. 18 par. 7 du Statut de Rome. Enfin, pour un examen approfondi de la recevabilité d'une affaire, voir les mandats d'arrêt délivrés par la Chambre préliminaire I le 27 juin 2011 à l’encontre de Muammar Mohammed Abu Minyar Qadhafi, Saïf Al-Islam Qadhafi et Abdullah Al-Senussi.

[2] Pour la définition du mot « commis », voir le par. 27 de ce document.

[3] Dans cette affaire, les juges majoritaires font valoir que le crime de génocide, selon le TPIR et le TPIY, ne contient aucun élément contextuel. Cependant, les Éléments des crimes sont venus ajouter un élément contextuel au crime de génocide, donc cette majorité des juges a conclu que cet élément contextuel des Éléments des crimes devait être appliqué (par. 117 à 133). Voir cependant la dissidence de la juge Anita Ušacka, par. 17.

[4] La notion de « contrôle » a cependant fait l'objet de développements jurisprudentiels; voir Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de délivrance d’un mandat d’arrêt à l’encontre d’Omar Hassan Ahmad Al Bashir, par.  210 à 213.

[5] Voir également Leila Zerrougui, « L'apport des premiers membres du groupe de travail sur la détention arbitraire dans l'établissement d'un contrôle international universel de la légalité de la détention », dans Emmanuel Decaux, Adama Dieng et Malick Sow, dir, Des droits de l'homme au droit international pénal : études en l'honneur d'un juriste africain, feu le juge Laïty Kama, Boston, Martinus Nijhoff, 2007, 711.

[6] Adam Roberts, « Role of law in the “war on terror”: A tragic clash », dans Jordan J. Paust, « Legal responses to terrorism: security, prosecutions and rights », (2003) 97 Am. Soc'y Int'l L Proc 13.

[7] En vertu du principe de la légalité, toute disposition législative se doit de remplir les critères de clarté, de prévisibilité et de précision.

[8] À savoir que l'affaire relève de sa compétence (et qu'elle est prima facie recevable), qu'il y a des motifs raisonnables de croire que l'individu a commis au moins un crime relevant de la compétence de la Cour et qu'il y a des motifs raisonnables de croire que sa responsabilité pénale est engagée.

[9] Soit Omar Al-Bashir, Ahmad Harun et Ali Kushayb. 

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