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Pascal Simbikangwa devant la Cour d’assises de Paris : quels sont les enjeux du premier procès français lié au génocide rwandais ?

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Marie Lugaz

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Yasmina Ronda

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12 Mars 2014

Source : Vosges Matin

Pour la première fois en France, et alors que l’Espagne s’apprête à dire au revoir au principe de compétence universelle, un individu comparaît devant la Cour d’assises de Paris pour des faits liés au génocide perpétré au Rwanda en 1994.

1. L’affaire Pascal Simbikangwa

Pascal Simbikangwa est né au Rwanda le 17 décembre 1959. En 1986, un accident de la route le rend paraplégique. En 1988, il est nommé directeur du Service central de renseignements. La question se pose sur son éventuelle appartenance à l’Akazu, ce cercle de personnes proches du Président Habyarimana, en faveur du « Hutu Power ». Simbikangwa était l’un des actionnaires de la Radio Télévision Libre des Milles Collines (RTLM), reconnue comme l’un des principaux instruments du génocide par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il aurait investi 100 000 francs rwandais dans la RTLM.

Après le génocide, il part pour les Comores, puis, en 2005, il s’installe à Mayotte sous une fausse identité. Accusé d’avoir fabriqué de fausses cartes d’identité, il est arrêté en octobre 2008. Après enquête, la police française découvre sa vraie identité et apprend alors qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international délivré par les autorités rwandaises pour des faits de « génocide, complicité de génocide, et crimes contre l’humanité ». Le Rwanda avait en outre demandé son extradition le 3 mars 2008, mais après l’avoir arrêté, la France a refusé de l’extrader. En février 2009, une plainte est déposée contre lui par cinq associations[1]. Inculpé en avril 2009, il est alors placé en détention provisoire à Mayotte. Les conditions de sa détention sont sujettes à controverse : ses avocats avancent que pendant huit mois, il n’avait pas accès aux toilettes. Quelques mois plus tard, il est transféré à Paris, où il dispose d’une cellule aménagée pour prendre en considération son état de santé physique.

Pascal Simbikangwa est accusé de complicité de génocide et de complicité de crimes contre l’humanité. Il est poursuivi pour avoir fourni armes et encouragements aux personnes déployées aux barrages de contrôle mis en place à Kigali afin d’identifier les Tutsis et de les neutraliser.

2. Le cadre du procès : la France

            a. Un procès rendu possible grâce au principe de compétence universelle

Ce procès est rendu possible grâce au principe de compétence universelle, traduit dans la loi française à l’article 689-1 du Code de procédure pénale. Le droit français en matière de compétence universelle est loin d’être parfait, mais les conditions étaient réunies en l’espèce pour que Pascal Simbikangwa puisse être poursuivi en France pour des faits commis au Rwanda. En effet, ce principe permet à la France de poursuivre des personnes se trouvant sur son territoire et qui sont recherchées pour des faits de crimes internationaux commis à l’étranger.

Accusée depuis plusieurs années d’offrir l’impunité à des individus impliqués dans le génocide rwandais, la France se joint aujourd’hui à la Belgique, au Canada, à la Finlande, à la Norvège, aux Pays-Bas, à la Suède, à la Suisse et depuis peu à l’Allemagne, qui ont exercé leur compétence universelle et ont rendu des jugements liés au génocide rwandais. Cependant, il aura fallu attendre 20 ans pour que ce type de procès voie le jour en France. Depuis 1995, 26 plaintes ont été déposées à l’encontre de rwandais suspectés d’implication dans le génocide et présents sur le territoire français. Sur ces 26 plaintes, seule celle déposée contre Pascal Simbikangwa a abouti, d’où le procès actuellement en cours à Paris.

            b. L’accusé face à un jury populaire

Durant ce procès, Pascal Simbikangwa fait face à trois juges professionnels et un jury populaire composé de six citoyens. Confier une telle charge à un jury populaire n’est pas une mince affaire. Les jurés vont en effet devoir statuer sur des faits qui se sont déroulés à 6 000 km de la France il y a 20 ans et assumer la lourde tâche d’analyser les témoignages, démêler le vrai du faux et se familiariser avec des notions telles que l’incitation au génocide, qui ne trouvent pas encore consensus parmi des spécialistes de droit pénal international. Les dires de Damien Vandermeersch, avocat général à la Cour de cassation belge, illustrent le dilemme auquel font face les membres de la formation de jugement lors de l’audition des témoins :  

Lorsque deux communautés se déchirent au point que l’une cherche à éliminer l’autre, y-a-t-il encore place pour le témoin neutre ? Ce dernier, n’appartient-il pas forcément à l’un des deux camps ? S’il n’est pas victime, on le soupçonnera d’appartenir au groupe criminel ou, à tout le moins, d’avoir bénéficié de ses faveurs ?[2]

Néanmoins, le jury français ne sera pas le premier à statuer sur une affaire liée au génocide rwandais. Dans le cadre des affaires belges, c’est également un jury populaire qui a décidé du sort de huit accusés rwandais. Au Canada, cependant, les deux procès en lien avec le génocide rwandais n’ont pas été faits devant un jury populaire, selon les volontés des accusés, qui peuvent se prévaloir de ce choix en vertu de l’article 11 (f) de la Charte canadienne des droits et libertés. La lecture du paragraphe 23 du jugement rendu par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Mungwarere s’avère particulièrement intéressante à ce sujet :

Le droit à un jury est un droit fondamental garanti par la Charte. Ceci dit, je suis d’avis qu’un procès sous l’égide de la [Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre] ne se prête pas facilement à un procès avec jury. Dans le futur, tous les procureurs et les accusés impliqués dans une telle affaire devraient hésiter longuement avant d’exiger un procès devant jury.

            c. Un procès intégralement filmé

Autre caractéristique du procès : celui-ci sera exceptionnellement filmé dans son intégralité. En effet, la loi n° 54-1218 du 6 décembre 1954 interdit de filmer, d’enregistrer ou de prendre des photos pendant des débats ayant lieu dans les salles d’audience des tribunaux. Par la suite, la loi n° 85-699 du 11 juillet 1985, modifiée par l’ordonnance n° 2004-178 du 20 février 2004, a autorisé, sous certaines conditions, l’enregistrement audiovisuel ou sonore des audiences publiques devant les tribunaux. Cette dérogation est permise lorsque l’enregistrement « présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice ». Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, cinq procès présentant cet intérêt ont été filmés et une autre affaire a fait l’objet d’un enregistrement audio devant le tribunal. Ceci  démontre le caractère historique de ce procès. L’article 8 de la loi prévoit que « [p]endant les vingt ans qui suivent la clôture du procès », les images tournées lors de ces procès peuvent être consultées « à des fins historiques ou scientifiques », après autorisation du Garde des Sceaux et du Ministre de la Culture. Cela signifie que la consultation n’est possible qu’après la clôture du procès, soit après l’expiration des délais d’appel et de pourvoi en cassation. Elle l’est ensuite pendant vingt ans sur autorisation puis, passé ce délai, la consultation est libre. La reproduction et la diffusion ne sont cependant libres qu’après l’expiration d’un délai de cinquante ans.

Pascal Simbikangwa s’est opposé à l’enregistrement du procès, en vain. La question se pose en effet de savoir si les jurés ressentent une certaine pression du fait de la présence des caméras. L’article 6 de la loi de 1985 prévoit cependant que « [l]es enregistrements sont réalisés dans des conditions ne portant atteinte ni au bon déroulement des débats ni au libre exercice des droits de la défense ». Les audiences peuvent être suivies sur des écrans télévisés à l’extérieur de la salle d’audience, mais elles ne peuvent donc pas être diffusées par les médias. Grâce au développement des réseaux sociaux, il est possible de suivre les audiences sur Twitter, des journalistes se relayant dans la salle d’audience pour permettre au public de suivre les débats.

            d. Quelle place pour les victimes du génocide rwandais ?

Si Pascal Simbikangwa se retrouve aujourd’hui devant la Cour d’assises de Paris, c’est parce qu’une plainte a été déposée contre lui en février 2009 par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (C.P.C.R.), la Ligue pour la défense des droits de l’Homme et du citoyen (L.D.H.), la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (F.I.D.H.), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) et SURVIE. Seules des associations ont pu se constituer parties civiles dans le cadre de ce procès. En effet, l’article 689-11 du Code de procédure pénale français attribue le monopole du déclenchement des poursuites au Ministère public dans le cadre des trois crimes internationaux. Il est donc difficile pour les victimes, dans un premier temps, d’avoir une place directe dans le procès.  Mais ce que les avocats représentant ces associations n’ont pas hésité à pointer du doigt dans le cadre de ce procès, ce sont surtout les lacunes du Parquet dans la recherche des familles des victimes. En effet, identifier ces familles et leur faire connaître la possibilité pour elles de se constituer partie civile aurait au moins permis que la voix des victimes soit entendue. 

            e. Quel rôle pour le pôle judiciaire spécialisé ?

Le pôle judiciaire spécialisé du tribunal de grande instance de Paris est une unité judiciaire compétente en matière de crimes de guerre, génocide et crimes contre l’humanité qui a pour mandat de poursuivre les auteurs de crimes de masse réfugiés en France. Il est composé de deux magistrats du parquet, trois juges d’instruction et de quatre enquêteurs, et a été renforcé depuis novembre 2013 d’un office central au sein de la gendarmerie. Ce pôle se penche aujourd’hui sur une trentaine de dossiers qui touchent différents pays, dont le Rwanda. C’est dans ce cadre que deux juges français se sont rendus, en mai 2010, pour deux semaines au Rwanda, dans le but d’enquêter sur la responsabilité présumée de l’accusé dans le génocide de 1994. À la suite d’enquêtes, les juges du pôle ont décidé, le 29 mars 2013, de mettre en accusation Pascal Simbikangwa pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité.

            f. La défense

Être avocat de la défense n’est jamais une tâche simple, en particulier face à des crimes de masse. Me Fabrice Epstein et Me Alexandra Bourgeot, avocats commis d’office de Pascal Simbikanga, ont accepté de relever le défi au nom des principes de la présomption d’innocence et du droit de chacun à un procès juste et équitable. L’objectif de ces derniers, avec les moyens qui leurs sont octroyés, est de pointer du doigt les failles de ce procès et de prouver l’innocence de leur client.

3. Les enjeux du procès

Outre les enjeux politiques et diplomatiques mis en avant dans ce procès, il reste des questions d’ordre juridique et éthique qui ne trouveront de réponse qu’avec le temps et la pratique. En effet, étant donné le caractère historique que revêt ce procès, le cas Simbikangwa fera office de précédent à tous les prochains crimes internationaux jugés sur le territoire français. L’étiquette du procès modèle qui colle à cette affaire et l’implication des médias et de la société civile augmentent la pression déjà importante qui pèse sur les juges et le jury. Ces derniers doivent veiller au respect des droits de la défense, de l’égalité des armes entre les parties et du droit à la présomption d’innocence de l’accusé, tout en laissant place à l’expression du soutien des parties civiles aux victimes du génocide rwandais.  

Ce procès fait également la lumière sur les relations entre la France et le Rwanda. Permettra-t-il enfin de clarifier le rôle de la France dans le génocide rwandais ? Dans sa synthèse, lors du premier jour du procès, le juge n’a pas fait mention de cette question. En effet, Kigali a toujours reproché à la France d’offrir une protection contre les poursuites aux personnes impliquées dans le génocide. Le témoin expert André Guichaoua, quant à lui, rappelle l’évacuation sélective adoptée par l’ambassade française après l’attentat contre l’avion présidentiel en se référant à la liste des personnes rwandaises évacuées de l’ambassade vers Bujumbura le 12 avril 1994.  Damien Vandermeersch rappelle également, dans l’un de ses écrits[3], que la France a poursuivi ses livraisons d’armes au Rwanda même après le 6 avril 1994.

Quel sera l’impact de ces vingt années sur l’authenticité des éléments de preuve ? La mémoire des Rwandais se rappelle-t-elle encore des faits en détail pour assurer l’équité dans un procès essentiellement fondé sur des témoignages ? Néanmoins, même si, avec le temps, il est plus difficile de se rappeler de manière précise de certains événements, faut-il pour autant remettre en question ce qui s’est passé ? Cela nous semble impossible. Comment distinguer cependant avec certitude le vrai du faux témoignage ? Il y a en effet eu plusieurs allégations de fabrication de preuve devant les tribunaux internationaux et nationaux ayant eu à connaître des affaires rwandaises. Six semaines de procès sont-elles suffisantes pour juger, pour la première fois, des crimes aussi complexes ? Tous ces questionnements ne constituent que les prémisses des analyses qui seront faites à la suite du procès.

Malgré les nombreuses critiques qu’il est possible de faire à l’encontre de cette première expérience juridique française, il est certain que celle-ci contribue au renforcement de la lutte contre l’impunité et vient ancrer l’efficacité de la compétence universelle.  

4. L’avancée du procès à ce jour

Depuis l’ouverture du procès le 4 février 2014, la Cour d’assises de Paris a auditionné Pascal Simbikangwa, ainsi que 25 témoins de contexte. Le premier jour, les avocats de la Défense ont demandé la nullité du procès, pour ne pas avoir eu les moyens de défendre leur client. Cette demande a été rejetée par le jury le même jour. Depuis le 24 février 2014, l’audition des témoins directs des faits reprochés à Pascal Simbikangwa a débuté.

Le procès allemand d’Onesphore Rwabukombe, qui s’est terminé le 18 février 2014, n’a pas tellement été médiatisé en Allemagne, outre par les médias spécialisés en droit international pénal. La situation inverse caractérise le procès de Pascal Simbikangwa. La médiatisation permet d’ouvrir l’histoire du génocide rwandais à la conscience publique, mais la pression médiatique à laquelle fait face la défense dans ce procès est assez importante. Le fait de limiter la médiatisation d’un procès de cette envergure, comme cela a été fait en Allemagne, permet-il à la justice de mieux faire son travail ? La question mérite d’être posée.

Pascal Simbikangwa sera-t-il jugé au terme d’un procès équitable ? Ce procès va-t-il permettre d’en apprendre davantage sur le rôle de la France dans le génocide au Rwanda ? Quel verdict la Cour d’assises de Paris va-t-elle prononcer à l’encontre de l’accusé ? Rendez-vous pour cela le 14 mars 2014, jour du délibéré.

 

 


Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

 

[1] Le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (C.P.C.R), la Ligue pour la défense des droits de l’Homme et du citoyen (L.D.H), la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (F.I.D.H), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) et SURVIE.

[2] Vandermeersch, Damien, Comment devient-on génocidaire ?, GRIP, 2013, p. 30.

[3] Vandermeersch, Damien, Comment devient-on génocidaire ?, GRIP, 2013, p. 59.

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