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La production en français des commentaires des Conventions de Genève : un travail d'équipe

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Clémence Bouchart

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Simon François Désiré Dousset

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1 March 2021

La production en français des Commentaires des Conventions de Genève : un travail d’équipe

Le 16 février dernier paraissait le « nouveau » Commentaire en français de la Première Convention de Genève (CG I), qui vise à protéger les soldats blessés ou malades sur terre en temps de guerre. Bien que cet événement ait été massivement relayé et salué par les spécialistes du droit des conflits armés, les Commentaires des Conventions de Genève restent encore méconnus du grand public. L’équipe de l’Université Laval en charge de la production en français des Commentaires vous propose donc une présentation de ces écrits, ainsi qu’une mise en lumière du travail de traduction effectué pour les rendre accessibles au plus grand nombre, en particulier dans le monde francophone.

Origine et fondements des Commentaires des Conventions de Genève

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en réponse aux atrocités commises durant cette guerre, les États ont procédé à une actualisation des règles du droit international humanitaire (DIH) préexistantes et en ont élaboré de nouvelles. Le résultat de ce travail prend la forme de quatre Conventions : les Conventions de Genève de 1949. La Première porte sur les soldats blessés ou malades sur terre ; la Deuxième sur les soldats blessés, naufragés ou malades sur mer ; la Troisième sur les prisonniers de guerre ; et enfin la Quatrième sur la protection des civils, notamment en territoire occupé.

Ces Conventions forment le socle fondamental sur lequel s’est développé le droit de la guerre. S’y ajoutent l’adoption en 1977 de leurs deux protocoles additionnels et la mise en lumière des règles de DIH coutumier l’étude que le CICR leur a consacré. Dès 1952, des Commentaires aux Conventions de Genève de 1949 ont été rédigés sous la direction de Jean Pictet, membre éminent du CICR qui avait joué un rôle important dans les travaux préparatoires qui avaient conduit à leur élaboration. Ces Commentaires, retranscrits en plusieurs langues, avaient pour objectif de préciser la compréhension des règles de ces conventions.

Comme l’explique Jean-Marie Henckaerts, chef du projet d’actualisation des Commentaires en cours, les évolutions touchant aux conflits armés ont amené le CICR, gardien des Conventions de Genève, à entamer un processus de révision des Commentaires de Jean Pictet. À l’inverse des Commentaires initiaux, publiés entre 1952 et 1959 et dont la langue originale était le français, les nouveaux Commentaires des Conventions de Genève ont été rédigés en anglais. Dès lors, devait être entreprise la tâche de les rendre accessibles à la communauté francophone (tout comme c’est le cas également pour l’espagnol, l’arabe, … voir boutique en ligne du CICR à ce sujet).

Les Commentaires des Conventions de Genève permettent de préciser les dispositions des Conventions. Leur actualisation en donne une lecture plus moderne à la lumière de l’évolution récente de la pratique du droit des conflits armés. Elle clarifie notamment les modalités de mise en œuvre de certaines dispositions. Comme l’indique Ghislaine Doucet, conseillère juridique principale au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Paris :

On peut considérer ce Commentaire comme une boussole et une référence inestimable pour tous ceux, acteurs militaires ou politiques, diplomates ou universitaires, personnels humanitaires institutionnels ou non gouvernementaux, qui souhaitent connaître la pratique et les interprétations contemporaines des règles du DIH, afin de mieux les respecter.

De la publication en anglais à la publication en français du Commentaire actualisé de la Première Convention : à la croisée d’un long chemin

La délégation régionale du CICR de Paris s’est vu confier la mise en œuvre de cette production en français des Commentaires des Conventions de Genève. Afin de l’épauler, la délégation a fait appel à divers acteur-ice-s, dont une équipe d’étudiant-e-s de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, supervisés de l’une des codirectrices, la professeure Julia Grignon. Ce partenariat s’est ensuite prolongé pour la production en français des Commentaires actualisés de la Deuxième Convention, puis à l’automne 2020 pour la troisième, avec le soutien supplémentaire d’Osons le DIH!, permettant de maintenir l’Université Laval au cœur de cette entreprise de grande envergure. L’équipe actuellement à l’œuvre pour la production en français des Commentaires des articles de la Convention III, que lui a confié la délégation du CICR à Paris (déjà disponibles en anglais depuis le 16 juin 2020), témoigne dans les lignes qui suivent de son expérience.

La production en français des Commentaires : un « travail de moine »

La production des Commentaires des articles en français implique davantage que la simple traduction. Elle nécessite avant tout de se familiariser avec le contenu des dispositions des Conventions de Genève, ainsi qu’avec les Commentaires originaux de Pictet pour faire une analyse rapide des différences d’utilisation de certains termes en français et en anglais. Pour donner un exemple parmi tant d’autres, le terme « clothing » est traduit par « habillement » et « underwear » par « linge », ce qui peut sembler peu instinctif de prime abord. De plus la traduction de ces termes donne souvent lieu à des débats internes au sein de l’équipe, puisque les termes utilisés pour désigner un mot peuvent varier à travers les textes des différents articles des Conventions. Par exemple, pour « clothing » on emploi le mot « vêtements » à l’article 20 de la CGIII et « habillement » à l’article 27 de celle-ci. Il faut alors trancher et s’entendre sur le bon terme à utiliser. La traduction littérale doit être privilégiée à la traduction littéraire, tout en assurant une fluidité de la langue, ce qui relève parfois du travail d’équilibriste ! En effet, chaque mot doit donc être pesé afin de ne risquer aucune mauvaise interprétation des articles commentés. Dans un premier temps afin de respecter le plus possible la volonté des auteur-e-s originaux, mais aussi car, bien que non contraignants, les Commentaires ont une certaine portée : ils sont utilisés par les juges, les étudiant-e-s, les soldats, les professionnel-le-s.

Certains termes juridiques possèdent également des expressions consacrées, afin d’éviter des incohérences entre les différents documents. Par exemple, « Party to a conflict » se traduit automatiquement par « partie à un conflit », « Detaining power » doit toujours se traduire par « Puissance détentrice », ou encore « lawful » doit être traduit par « licite » et non « légal » afin d’être en accord avec la terminologie juridique employée en droit international. La production implique donc de développer des réflexes pour les repérer rapidement. C’est pour faciliter cette tâche que l’équipe a constitué de nombreux documents de travail, qui permettent d’assurer l’uniformité de la traduction et le respect de la méthodologie de référencement mise en place par le CICR.

Outre la traduction qui se veut plus littérale que littéraire, la production des Commentaires en français implique aussi de chercher, via notamment la bibliothèque numérique du CICR, les rapports et actes des travaux préparatoires aux Conventions de Genève ou d’autres instruments de droit international pertinents. Ce travail offre ainsi à l’équipe l’occasion de faire la lecture des débats entre États ayant mené à l’adoption des différentes règles du droit des conflits armés dans leur forme finale, mais aussi de voir l’évolution de ces dispositions au fil du temps. Par exemple, les Commentaires actualisés de la Convention de Genève de 1949 font régulièrement référence à la Convention de Genève relative aux prisonniers de guerre de 1929, qui comportait certaines différences par rapport à son aînée.

La recherche implique également de s’intéresser aux manuels de doctrine militaire des différents pays signataires des Conventions de Genève, de constater le respect du DIH ainsi que les différences pratique au sein de la communauté internationale.

Ce travail ardu mais gratifiant permet de consolider des compétences acquises au cours d’une formation universitaire en droit des conflits armés. Le processus de révision des articles par les autres membres de l’équipe, ainsi que les retours hebdomadaires sous la forme de capsules pédagogiques mentorées par la Professeure Grignon, permettent à l’équipe de toujours s’améliorer et offre aux étudiant-e-s une expérience concrète de rédaction professionnelle. Au-delà des aspects universitaires et professionnels, un véritable esprit d’équipe et d’entraide s’est créé au fil du processus.

L’équipe est fière de pouvoir contribuer à la diffusion du DIH en français et de participer, à son niveau, à assurer un meilleur respect des règles établies par les Conventions de Genève.

Pour en savoir plus, ou si vous êtes intéressés à contribuer au projet, n’hésitez pas à contacter Osonsledih@fd.ulaval.ca. L’équipe est en constante évolution et pourrait chercher des participant-e-s supplémentaires à l’été 2021.

 


La publication de ce billet est financée en partie par le projet de recherche Osons le DIH! Promotion et renforcement du DIH : une contribution canadienne et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada. 


Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale e les droits fondamentaux, de Osons le DIH, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

 

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