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DIH et popculture : le droit des conflits armés et Harry Potter

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Steve Tiwa Fomekong

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1 December 2021

Imaginez le monde d’Harry Potter, où les différentes règles de droit international humanitaire (DIH) établies par les moldus seraient également applicables : les Conventions de Genève, leurs Protocoles additionnels, ou encore les règles de DIH coutumier. Un monde magique où des tribunaux pénaux internationaux, inspirés par les tribunaux de Nuremberg et la Cour Pénale internationale, seraient mis en place au lendemain de la chute de Voldemort, afin de sanctionner les crimes commis durant cette grande guerre entre sorcières et sorciers. Quels seraient ces crimes ? Quelles sont les principales violations du DIH qui ont été commise par Voldemort, voire même par Harry Potter, durant ces 7 années à Poudlard qui ont vu se dérouler de nombreux combats ?

C’est ce que va expliquer ce billet, dont la version audio est trouvable ici, sur Youtube.

I-Le préalable à l’application du DIH : la qualification du conflit

Avant de parler de violations du DIH, et donc par extension de crimes de guerre – qui correspondent sanction des violations des lois et coutumes de la guerre, voir notamment art. 8 du Statut de Rome -, il est important de déterminer l’existence d’un conflit armé. En effet, le DIH ne s’applique qu’en contexte de conflit armé. Il existe deux types de conflits armés : les conflits armés internationaux (CAI), opposant un ou plusieurs États entre eux, et les conflits armés non internationaux (CANI), opposant un ou plusieurs États à un ou plusieurs groupes armés, ou plusieurs groupes armés entre eux (Tadić, 1995, au para 70). Cette distinction entre ces deux types de conflit est importante car les règles applicables vont varier selon qu’il s’agisse d’un CAI ou d’un CANI. En l’occurrence, la grande guerre magique n’a pas opposé plusieurs États entre eux, mais un État, à savoir le Ministère de la magie, à ce qui s’apparente à un groupe armé : les Mangemorts. Ce sont donc les règles juridiques applicables aux CANI qui s’appliqueraient à cette grande guerre magique. Cependant, pour déterminer l’existence d’un CANI, il convient de déterminer au préalable l’existence de deux éléments dégagés par l’arrêt Tadić du TPIY : l’existence d’un groupe armé suffisamment organisé ; l’existence de combats ayant atteint un seuil suffisant d’intensité (Tadić, 1995, au para 70). En ce qui concerne l’organisation du groupe armé des Mangemorts, depuis le retour de Voldemort à la fin de la quatrième année d’Harry Potter, ceux-ci disposent d’une hiérarchie dont Voldemort est à la tête, d’un Quartier général avec le manoir des Malfoys, et de suffisamment d’armes avec leurs baguettes magiques. L’intensité et le prolongement des combats étaient démontrables aussi à partir de la fin de la quatrième année d’Harry : auparavant, les combats ne concernaient que Harry et Voldemort, et ils étaient trop sporadiques (un par an) pour déterminer l’existence d’un conflit armé. C’est donc à partir de la fin de l’épisode de la Coupe de feu qu’un CANI s’est dégagé dans l’univers d’Harry Potter, et que les règles de DIH relatives aux CANI sont devenues applicables.

« Le ministère de la magie est tombé. Le ministre de la magie est mort » (citation du début du septième film)

Cependant, à partir du début de la septième année, le Ministère de la magie est renversé par les mangemorts qui en prennent le contrôle. Les Mangemorts passent alors du statut de groupe armé à celui de gouvernement, à l’image de la situation actuelle des Talibans en Afghanistan. Cependant, malgré ce changement de situation, le conflit garde la nature de CANI. En effet, les Mangemorts, en tant que gouvernement, sont à ce moment opposés à un groupe armé, suffisamment organisé de par sa hiérarchie et ses nombreux quartiers généraux (la salle sur demande, la maison de vacances des Weasleys, la maison du frère de Dumbledore ...) : l’Armée de Dumbledore.

II-Le DIH et le monde d’Harry Potter : ce qui est permis et ce qui ne l’est pas

A-Autorisé : viser des cibles licites

En DIH, il n’est pas interdit dans le cadre d’un conflit armé de tuer les combattants d’un gouvernement ou les membres d’un groupe armé en tant que civils participant directement aux hostilités. Le principe de distinction (voir notamment règle 1 de DIH coutumier) interdit simplement de viser des personnes ou des biens civils qui n’auraient pas perdus leur protection à cause de leur participation directe aux hostilités. Les attaques contre les Mangemorts ou les membres de l’Armée de Dumbledore étaient donc permises au regard du DIH.

B-Interdit : recruter des enfants soldats, âgés de moins de 15 ans ou de moins de 18 ans

En ce qui concerne l’armée de Dumbledore, il est important de noter que Harry a enrôlé des enfants de moins de 15 ans dans son armée, notamment les frères Colin et Dennis Crivey, âgés respectivement de 13 et de 14 ans au moment où ils ont rejoint le groupe. Certes, toutes les personnes qui ont rejoint l’Armée de Dumbledore l’ont fait de façon volontaire, mais le DIH interdit sans aucune exception l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans les conflits (voir notamment art. 77.2 du PAI et art. 4.3.c) du PAII). Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés a porté cette interdiction à 18 ans (art. 1 pour les États et art. 4 pour les groupes armés), ce qui rendrait illicite l’ensemble de l’armée de Dumbledore au regard du droit international, ainsi que l’enrôlement de Draco Malfoy par Voldemort alors que celui-ci n’avait pas encore 18 ans.

À partir du moment où cette interdiction de recruter des enfants est détournée par une Partie au conflit, il n’existe aucune règle spécifique en DIH qui interdit de prendre ces enfants pour cible sous couvert du respect des principes de distinction, de précaution, de proportionnalité et d’interdiction des maux superflus (respectivement règles 1, 15, 14 et 70 de DIH coutumier). Il est cependant possible d’arguer que de plus amples précautions doivent être prises lorsqu’un adulte est confronté à des enfants soldats, et les mots de Jean Pictet, selon lesquels la blessure est préférable à la mort et la capture est préférable à la blessure, résonnent de façon encore plus intense dans de telles situations.

De plus, les enfants bénéficient de protections spécifiques en DIH, ce qui implique notamment de prendre en considération tous les égards dus à leur âge (voir par exemple règle 135 de DIH coutumier). Si les Mangemorts étaient donc en droit de se défendre face aux enfants de l’Armée de Dumbledore, des sortilèges non léthaux tels que Expelliarmus étaient à privilégier au nom du principe d’humanité.

            C-Interdit sauf détournement : l’attaque d’une école

Dans le cadre de l’attaque lancée à l’encontre de Poudlard, il est important de préciser que les écoles bénéficient d’une protection au titre de biens civils en DIH. Au nom du principe de distinction, elles ne peuvent pas faire l’objet d’attaques, sauf si leur utilisation est détournée par une Partie au conflit à des fins militaires (voir notamment règle 10 de DIH coutumier). En utilisant Poudlard comme quartier général, et sa salle sur demande comme pièce d’entrainement, l’Armée de Dumbledore a donc fait perdre à Poudlard sa protection au regard du DIH, et son attaque pouvait apporter un avantage militaire concret et direct à la Partie adverse. De plus, en offrant une chance aux élèves présents à Poudlard de se rendre avant le début du conflit, Voldemort semble avoir montré une certaine forme de respect pour le principe de précaution, visant à limiter le plus possible les pertes collatérales civiles (voir notamment règle 15 de DIH coutumier). Il reste cependant à déterminer si une telle attaque ne violait pas le principe de proportionnalité (voir notamment règle 14 de DIH coutumier), compte tenu du fait que l’école continuait de donner des cours à un grand nombre d’élèves qui n’avaient pas pris position officiellement dans ce conflit. L’anéantissement de l’Armée de Dumbledore valait-elle la destruction d’une école en fonctionnement et la perte de nombreux civils ?

            D-Le cas des sortilèges impardonnables : impardonnables aussi en DIH ?

Le sortilège d’Avada Kedavra est un sortilège de mort : il a pour fonction de tuer instantanément la personne qui est visée par ce sortilège. Le DIH n’interdit pas de tuer des cibles licites, à partir du moment où ce sortilège est utilisé contre des combattants ou des civils participant directement aux hostilités, il n’y a donc pas de violation du DIH. Qui plus est, de par son caractère précis et son absence d’effet explosif, il s’agit d’un sortilège respectueux des principes de précaution (voir notamment règle 15 de DIH coutumier) et de proportionnalité (voir notamment règle 14 de DIH coutumier). En tuant instantanément, ce sortilège évite aussi la survenance de maux superflus (voir notamment règle 70 de DIH coutumier). Même s’il est important de rappeler qu’il faut privilégier la blessure à la mort, lorsqu’un belligérant n’a pas le choix, le sortilège d’Avada Kedavra s’avère respectueux du DIH si orienté vers une cible licite.

En ce qui concerne le sortilège d’Endoloris, c’est tout l’inverse : ce sortilège n’a pas pour objectif de donner la mort, mais de causer des maux superflus. Pire encore, les douleurs causées par ce sortilège sont assimilables à de la torture, qui est prohibée aussi bien en droits humains (voir notamment Convention contre la torture, art. 7 du PIDCP, ...) qu’en DIH (voir notamment règle 90 de DIH coutumier), aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre. La prohibition de la torture, qui est une norme de jus cogens, est absolue et indérogeable : rien ne peut la justifier. Le sortilège d’Endoloris apparaît donc comme étant un sortilège impardonnable aussi aux yeux du DIH.

Enfin, le troisième et dernier sortilège impardonnable est celui de l’imperium, qui permet de contrôler le corps de la personne visée. Le DIH étant un droit conçu par les moldus, l’obsolescence de leurs technologies ne leur a pas permis de pouvoir anticiper de telles situations. Ainsi, le DIH est muet sur la licéité d’un tel moyen de combat. Cependant, le DIH prohibe les conséquences d’un tel sortilège à travers deux règles. Premièrement, le droit des conflits armés interdit l’utilisation de la perfidie, qui consiste en l’utilisation d’emblèmes protecteurs (par exemple celui de la Croix-Rouge) dans le but de tromper l’ennemi (voir notamment règle 65 de DIH coutumier). Ainsi, si le sortilège de l’imperium devait être utilisé pour contrôler une personne protégée par les Conventions de Genève (Madame Pompresh, par exemple) dans le but de tromper l’ennemi, alors cette utilisation serait illicite. Deuxièmement, le DIH interdit d’utiliser des drapeaux, insignes ou uniformes appartenant à l’ennemi (voir notamment règle 62 de DIH coutumier). Contrôler l’ennemi à travers un sortilège, c’est un peu comme revêtir son uniforme, tout du moins l’intérêt est le même : se servir des apparences pour franchir les lignes ennemies. Une telle utilisation du sortilège de l’imperium serait donc également illicite au regard du DIH. Globalement, même si un tel sortilège n’est pas prohibé explicitement par le droit des conflits armés, son utilisation est indirectement très limitée.

Conclusion

Finalement, la grande guerre magique a vu de nombreuses violations du droit de la guerre être commise, dans les deux camps. Le meilleur moyen d’éviter que les conflits futurs reproduisent de telles violations du droit international, c’est d’enseigner et de diffuser ce droit, aussi bien dans le monde des sorciers que dans le monde moldu. C’est en tout cas ce qu’Osons le DIH et son équipe du « Popcast » essayent de faire. La balle est désormais dans votre camp pour diffuser vous aussi ce droit des conflits armés, en racontant cette analyse d’Harry Potter à votre famille ou vos amis si vous le souhaitez.

Et rendez-vous le 25 décembre pour passer un « Joyeux Noël » avec l'équipe du Popcast!


Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

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