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Le DIH à travers la perspective du genre : un éclairage neuf sur d’anciennes conventions

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24 January 2022

Le DIH à travers la perspective du genre : un éclairage neuf sur d’anciennes conventions


Ce billet est la version française du « Highlight » publié simultanément par le Comité international de la Croix-Rouge et dont la version originale se trouve ici, il n’est pas le fruit du travail de la personne mentionnée qui en est la traductrice.


Le DIH est-il genré ? Discriminatoire ? En quoi est-ce important pour celles et ceux qu’il a pour objectif de protéger ? Le terme « genre » fait référence au comportement socialement attendu des hommes et des femmes basé sur leurs rôles, leurs attitudes et les valeurs que la société leur attribue en raison de leur sexe. Le terme « sexe » fait quant à lui référence aux caractéristiques biologiques et physiques des personnes. Le rôle des genres varie grandement d’une culture à l’autre ou au sein d’une même culture et dépend du contexte social, économique et politique. Les conflits armés peuvent accentuer ou générer des problématiques, des préoccupations ou des violences liées au genre. C’est pourquoi il est essentiel de comprendre comment les stéréotypes se matérialisent dans les conflits armés, en commençant par analyser un vaste spectre d’enjeux : la masculinité et la guerre, les hommes et les femmes en tant que victimes de violences sexuelles (perpétrées par les hommes et par les femmes), les femmes en tant que combattantes et auteures de violations, les femmes et les armes, le traitement de la communauté LGBTQ+ et les différentes menaces auxquelles sont confronté.e.s les garçons et les filles.

Ce highlight s’inscrit dans la continuité des précédents higlights (en anglais seulement) : « Sexual Violence in Armed Conflict (la violence sexuelle dans les conflits armés) » (mis à jour avec de nouvelles études de cas) et « Armed groups and children (les enfants et les groupes armés) ».

Le DIH et le genre

Les quatre Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels ont inclus un certain nombre de clauses de non-discrimination (P II, Art. 2(1) CG I-IV, article 3 commun ; CG I, Art. 12 ; CG II, Art. 12 ; CG IV, Art. 27 ; P I, Art. 9(1)). Cette interdiction est même devenue une règle de droit international humanitaire coutumier (règle 88 de DIH coutumier). Les femmes sont mentionnées dans plusieurs articles : « Les femmes doivent être traitées avec tous les égards dus à leur sexe et bénéficier en tous cas d'un traitement aussi favorable que celui qui est accordé aux hommes » (CG III, Art. 14, voir aussi CG I, Art. 12CG II, Art. 12). La formulation de l’interdiction du viol et des autres formes de violences sexuelles fait explicitement référence aux femmes : « Les femmes seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur » (CG IV, Art. 27 ; voir aussi P I Art. 76).

Plusieurs dispositions font aussi référence à des mesures spécifiques pour les femmes prisonnières de guerre et détenues : des installations séparées pour les femmes et les hommes sont exigées (CG III, Art. 25CG IV, Art. 76P II, Art. 5, voir aussi : CG III, Art. 29CG III, Art. 108CG IV, Art. 85), ainsi qu’un traitement similaire dans l’exécution des peines (CG III, Art. 88CG III, Art. 97).

De plus, les femmes enceintes et les mères d’enfants de moins de 7 ans bénéficient d’un traitement préférentiel (CG IV, Arts. 16171821222338508991127132 ; P I, Arts. 70(1)76(2) ; P II, Art. 6). Cette protection spécifique des femmes (règle 134 de DIH coutumier) et l’obligation de séparer les femmes privées de liberté des hommes (règle 99 de DIH coutumier) sont également des règles de droit international coutumier.

Il est intéressant de relever que les hommes sont mentionnés explicitement par l’intermédiaire des femmes. Par exemple : « Les femmes doivent être traitées avec tous les égards dus à leur sexe et bénéficier en tous cas d'un traitement aussi favorable que celui qui est accordé aux hommes » (CG III, Art. 14).

La critique

Le DIH a été fortement critiqué pour la manière dont il appréhende la notion de genre. Certaines doctrines juridiques féministes estiment que le DIH est discriminatoire par nature : par exemple, le DIH considère généralement les femmes comme des victimes et les hommes comme des combattants ; en ce qui concerne la prohibition des violences sexuelles, la formulation fait référence à la « pudeur » des femmes au lieu de leur dignité ou de leur intégrité ; les femmes sont mises en avant dans le droit principalement dans le cadre de leurs fonctions reproductives ou en tant que responsables pour la prise en charge des jeunes enfants[1]. Pourquoi les dispositions de DIH relatives aux violences sexuelles et à la garde des enfants se concentrent-elles sur les femmes, alors que quiconque peut être victime de violence sexuelle ou responsable de la prise en charge d’un enfant ? Une autre question importante réside dans le silence du droit en ce qui concerne la situation des personnes LGBTQI+ et de leurs besoins spécifiques. On pourrait en déduire que les règles de DIH voient les femmes et les hommes comme appartenant à des catégories binaires mutuellement exclusives. L’approche genrée du DIH est aussi liée à la discussion sur le relativisme culturel (aux pp. 11-15 du PDF) étant donné que différentes cultures peuvent appliquer différemment les règles de DIH, en reflétant leur propre système de pensées, y compris leur approche spécifique des rôles attribués aux genres.

Lectures intersectionnelles

Un nouvel éclairage peut être apporté aux anciennes conventions. Des interprétations innovantes et contemporaines du droit peuvent permettre de le faire évoluer des formulations genrées et stéréotypées. Par exemple, le Commentaire mis à jour de la CG III de 2020 explique que :

Depuis 1949, il y a eu un certain nombre de développements juridiques internationaux et sociaux en matière d’égalité des sexes, qui doivent être reflétés dans l’application de l’alinéa 2 de l’article 14 et des dispositions connexesAujourd’hui, il existe une meilleure compréhension du fait que les femmes, les hommes, les filles et les garçons peuvent avoir des besoins, des capacités et des perspectives spécifiques liés aux différentes façons dont les conflits armés et l’internement peuvent les affecter. À la lumière de ces développements, il ne faut pas interpréter la mention spécifique relative à la protection des femmes à l’alinéa 2 de l’article 14 comme impliquant que les femmes ont moins de résilience, de libre arbitre ou de capacité au sein des forces armées, mais plutôt comme une reconnaissance du fait que les femmes ont un ensemble de besoins distincts et qu’elles peuvent être confrontées à des risques physiques et psychologiques particuliers.

De récentes affaires à la CPI (Lubanga et Ntaganda, en anglais seulement) ont également abordé des questions liées au genre, notamment en ce qui concerne les garçons recrutés en tant qu’enfants soldats et les filles impliquées dans les mariages forcés ou l’esclavage sexuel, à chaque fois à travers la protection accordée aux enfants et la notion de participation active aux hostilités. De plus, dans le cadre du relativisme culturel, il est important de mentionner que le DIH est basé sur des valeurs universelles. Il traite de besoins humains tellement basiques et de scénarios tellement spécifiques que l’interprétation de celui-ci laisse ainsi bien moins de place au relativisme culturel que le débat en matière de droits humains par exemple. De plus, une approche culturelle correcte ne peut pas se baser sur des hypothèses génériques mais nécessite une analyse au cas par cas et une certaine ouverture d’esprit.

En résumé, la pratique récente démontre qu’une solution adaptée au biais du genre à la fois dans la pratique et dans le droit consiste à interpréter le DIH de manière intersectionnelle pour aller au-delà des catégorisations monolithiques et tenir ainsi compte des besoins, des risques et des capacités spécifiques des personnes affectées.

Le droit

Plus de détails, de développements et d’explications peuvent être trouvé dans « Le droit » (en anglais seulement). En ce qui concerne le principe de distinction, la protection spéciale accordée aux femmes et la critique féministe du DIH, vous pouvez vous référer au chapitre concernant « La population civile » (aux pp. 143-189 du PDF) ; en ce qui concerne le relativisme culturel, consultez « Les fondamentaux » (aux pp. 11-15 du PDF).

La pratique

Une sélection d’études de cas pertinents tirés de The Practice (La pratique) illustrent plus en détail :

Le genre en général

Les stéréotypes basés sur le genre et la protection

A à Z

Pour aller plus loin

 


[1] Voir par exemple O. M. Stern, Gender, Conflict and International Humanitarian Law: A Critique of the Principle of Distinction, Routledge, London and New York, 2019, pp. 103-4.


Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

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