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#1 N'oublions pas : les conflits au Myanmar à la lumière du droit international

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30 August 2022

Après avoir publié 9 billets sur le conflit armé en Ukraine (billet 1 (27 février 2022) ; billet 2 (4 mars 2022) ; billet 3 (8 mars 2022) ; billet 4 (15 mars 2022) ; billet 5 (24 mars 2022) ; billet 6 (1er avril 2022) ; billet 7 (12 avril 2022) ; billet 8 (21 avril 2022) ; billet 9 (12 juillet 2022)), le groupe de recherche Osons le DIH ! se lance dans une nouvelle série de diffusion du droit international humanitaire (ci-après DIH) portant sur « les conflits oubliés ». L’objectif de cette série est de rappeler que malgré l’espace médiatique occupé par le conflit ukrainien, d’autres conflits aux conséquences tout aussi dévastatrices continuent de faire rage dans le monde, mais passent sous le radar du grand public. Le droit de la guerre ne fait pas de hiérarchie entre les conflits, et il est important de rappeler son application et de diffuser ses règles pour toutes les situations de conflit armé, sans considération de leurs situations géographiques, des parties impliquées, ou des contextes politiques.

Le premier billet de cette série porte sur les conflits au Myanmar. Après un exercice de qualification permettant de déterminer le droit applicable à la situation du Myanmar, ce billet vous propose de naviguer entre les règles relatives à la conduite des hostilités (attaque envers les civils et recours aux violences sexuelles comme méthodes de guerre ou de torture), l’accès à l’aide humanitaire en période de conflit armé, et la situation des réfugiés et apatrides Rohingyas.

Comme à l’accoutumée, il est possible de vous rendre à la thématique de votre choix à travers les liens suivants :

-Mise en contexte

           -Qualification du conflit

           -Droit applicable

           -Les exécutions extrajudiciaires et les attaques contre les civils

           -Assistance humanitaire et conflits armés non internationaux

           -Les violences sexuelles commises dans le cadre des conflits au Myanmar

           -Réfugiés et apatridie : le cas de Rohingyas

Mise en contexte

Le Myanmar – connu aussi sous le nom de Birmanie jusqu’en 1989 – est une mosaïque d’ethnies et de religions (environ 135). En plus de son gouvernement central, le pays est subdivisé administrativement en plusieurs États qui possèdent leur propre gouvernement. Depuis son indépendance par rapport à l’Empire britannique en 1948, le Myanmar est en proie à de nombreuses violences en raison de diverses rébellions ethniques, d’un nationalisme intense et de diverses aspirations révolutionnaires face aux gouvernements militaires et autoritaires qui se sont succédés.

En effet, le pays a connu une succession de gouvernements militaires mis en place à travers des Coups d’États : la junte militaire du Général General Ne Win's, de 1962 à 1988, et celle de Tatmadaw, de 1988 à 2011. En réponse à la montée des protestations, et notamment la révolution Safran qui a eu lieu en 2007 (révolution menée par des moines birmans contre la hausse des prix du gouvernement), la junte militaire Tatmadaw a amorcé une transition en 2011 en essayant de relancer un parlement civil. En 2015, la majorité des sièges est remportée par la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), parti représenté par Aung San Suu Kyi, qui devient alors cheffe du gouvernement. Aung San Suu Kyi était avant ces élections une figure historique de l’opposition. Elle avait notamment été emprisonnée de 1989 à 1996 par la junte militaire Tatmadaw qui avait refusé à l’époque de reconnaître son élection. L’histoire se répète le 1er février 2021 lorsque, après avoir à nouveau remportés les élections en 2020, Aung San Suu Kyi et des membres de son parti (parmi lesquels Win Myint, le président de la République birmane) sont arrêtés et emprisonnés à la suite d’un nouveau Coup d’État militaire, à nouveau mené par la Tatmadaw, au prétexte d’irrégularités électorales.

 

I-Qualification du conflit

La qualification des conflits au Myanmar peut s’avérer complexe compte tenu du nombre important de groupes qui remplissent les critères d’organisation et d’intensité mentionnés par l’arrêt Tadic (au para 70), qui servent à qualifier un groupe de groupe armé non étatique au sens du DIH. Ces groupes nommés « organisations armées ethniques [nous traduisons] » se battent principalement contre le gouvernement du Myanmar, pour l’indépendance des régions auxquelles ils appartiennent (notamment dans les États de Chin, Kayah, Kayin, Kachin, Mon, Rakhine et Shan). S’il existe plusieurs groupes armés non étatiques aux motivations diverses sur le territoire du Myanmar, ainsi que plusieurs conflits, il est cependant possible de relever une constante : tous ces conflits sont des conflits armés non internationaux (ci-après CANI), à savoir des conflits armés opposant un État (le Myanmar) à un ou plusieurs groupes armés non étatiques (principalement les « organisations armées ethniques »), ou opposant ces groupes armés non étatiques entre eux. C’est ce qu’a relevé RULAC, le site de l’Académie de Genève consacré à la qualification des conflits armés dans le monde, qui a également constaté la présence de conflits entre groupes armés non étatiques au Myanmar en plus des conflits entre le gouvernement et ces groupes.

Si les accusations selon lesquelles la Chine et la Russie auraient fourni des armes à la junte militaire pour la soutenir après son Coup d’État étaient avérées, cela n’aurait pas pour autant pour effet d’internationaliser le(s) conflit(s) au Myanmar. En effet, dans un premier temps, la simple fourniture d’armes n’a pas pour effet de faire rentrer un État dans un conflit – de la même façon que le soutien matériel de la France envers l’Ukraine ne fait pas FranceFrance une partie au conflit ukrainien –, et dans un second temps, ce support était en faveur des forces armées de l’État du Myanmar, et non contre elles. Dans tous les cas, il n’existe donc pas d’opposition armée entre États, condition sine qua non à la qualification d’un conflit armé international (ci-après CAI).

Il est important également de préciser que même si le groupe des Rohingyas a attiré l’attention des médias et des académiques au Myanmar, ce groupe ne possède pas en tant que tel les caractéristiques d’un groupe armé non étatique (absence de structure hiérarchique, de quartier général, d’armes en quantité suffisante …). Les Rohingyas ne sont donc par nature partie à aucun conflit qui a lieu au Myanmar, et revêtent à ce titre la catégorie de civils au regard du DIH. Il existe bien un groupe armé non étatique qui combat au nom des Rohingya (l’armée du salut des Rohingyas de l’Arakan), mais il n’a pas pour conséquence de faire tomber tous les Rohingyas dans la catégorie de personnes participant aux hostilités. Seuls les membres de ce groupe sont considérés comme participant directement aux hostilités et sont donc à ce titre des cibles licites au regard du droit des conflits armés.

II-Droit applicable au conflit

Les nombreux conflits qui ont lieu au Myanmar et les différentes revendications qui y sont liées ne doivent pas laisser penser que différentes strates du droit des conflits armés seront applicables : le DIH est le même pour toutes les parties à un conflit. La seule différence dans les règles applicables est liée à la qualification du conflit (il existe un ensemble de règles applicables aux CAI et un ensemble de règles applicables aux CANI, qui se rejoignent cependant sur de nombreux points). Mais comme le Myanmar n’est confronté qu’à des CANIs sur son territoire, ce seront les mêmes règles (à savoir le droit des CANIs) qui s’appliqueront à tous les belligérants, indépendamment de leur motivation, de leur ethnie, ou du groupe auquel ils appartiennent.

Les règles applicables aux CANIs correspondent à l’article 3 commun aux Conventions de Genève, le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, à condition qu’il ait été ratifié par l’État sur le territoire duquel se déroule le conflit (ce qui n’est pas le cas du Myanmar), ainsi que les règles de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier qui sont applicables à la fois aux CAIs et aux CANIs.

III-Les exécutions extrajudiciaires et les attaques contre les civils

            Deux types d’atteintes envers les civils qui font référence à deux facettes du DIH ont été relevés dans les conflits qui ont lieu au Myanmar : celles qui relèvent des règles régissant la conduite des hostilités (A), et celles qui relèvent des règles relative à la protection des individus entre les mains d’une partie au conflit (B).

A-Les attaques contre les civils et la conduite des hostilités

Le mercredi 1er juin 2022, Amnesty International a relevé dans un rapport que des civils, dans la région de Karen, ont subi des attaques aériennes ciblées, menées par l’armée du Myanmar, ainsi que des tirs d’artillerie et de mortier, des arrestations arbitraires, et des exécutions extrajudiciaires. Il est important au regard de ces attaques de rappeler la règle fondamentale de la distinction en DIH, qui interdit de prendre volontairement des personnes civiles pour cible, ou de répandre la terreur parmi la population civile à travers des actes de violence ou des menaces (voir notamment article 3 commun aux Conventions de Genève ; et règle 1 et règle 2 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier). En s’en prenant directement à la population civile, les forces armées du Myanmar ont donc violé cette règle fondamentale du DIH. Ces attaques envers la population civile sont également constitutives de crimes de guerre au regard de l’article 8.e)i) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (ci-après Statut de Rome).

B-Les exécutions extrajudiciaires et les règles protégeant les individus aux mains d’une partie au conflit

Le 23 juillet 2022, 4 hommes, dont un vétéran activiste prodémocratie et un ancien député de la Ligue nationale pour la démocratie, ont été retrouvés pendus dans la prison Insein de Yangon, après que la junte militaire au pouvoir avait annoncé le 3 juin dernier « son intention de procéder aux exécutions de quatre hommes condamnés à mort » lors d’un procès dont les appels ont été rejetés. Des experts onusiens indépendants estiment également qu’environ 2 000 civils ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires commises par l’armée. Ces pratiques sont contraires aux garanties de procès justes et équitables, qui ne cessent pas en période de conflit armé. En effet, l’article 3 commun aux Conventions de Genève, qui régit les CANIs, prohibe à son alinéa 1)d) « les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés ». Il est également possible de retrouver ces garanties à la règle 100 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier. En contexte de conflit armé, ces exécutions extrajudiciaires peuvent également constituer des crimes de guerre en vertu de l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui criminalise les « atteintes à la vie » en contexte de CANIs à son alinéa c)i), ainsi que « [l]es condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires généralement reconnues comme indispensable » à son alinéa c)iv).

De plus, il convient de rappeler que les droits humains ne cessent pas de s’appliquer en temps de conflit armé, et ces arrestations et exécutions arbitraires et extrajudiciaires menées par l’armée birmane constituent une violation du droit à la vie ainsi qu’une violation du droit à la liberté et à la sûreté, qu’il est possible de retrouver à l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (ci-après DUDH), à défaut de ratification du Pacte international relatif au droit civil et politiques (plus contraignant que la DUDH mais qui requiert une ratification pour être opposable) par le Myanmar.

Ainsi, que ce soit en DIH, en droit international pénal, ou en droit international des droits humains, les exécutions extrajudiciaires ainsi que les attaques délibérées envers les civils sont formellement interdites, et peuvent être constitutives de crimes de guerre.

IV-Assistance humanitaire et conflits armés non internationaux

Depuis 2017, plus de 770 000 Rohingyas ont fui les violences au Myanmar et ont cherché refuge au Bangladesh, le pays voisin. Cependant, il existe également un nombre important de personnes (800 000 selon le Haut-Commissariat aux réfugiés) qui ont fui ou cherchent à fuir les conflits tout en restant au Myanmar : ces individus qui se déplacent au sein d’un même pays pour fuir des situations de violence sont considérés comme des déplacés internes. Leur situation est également préoccupante, d’autant qu’une donnée supplémentaire rentre en jeu les concernant : en demeurant au Myanmar, les déplacés internes restent sous le contrôle et la menace des forces armées du Myanmar, qui bloquent l’accès à l’aide humanitaire qui leur est destinée. Cette situation préoccupante a été dénoncée par des organisations non gouvernementales (à l’image d’Human Rights Watch) ainsi que par les Nations Unies à travers le HCR. Il convient de mentionner que le blocage de cette aide humanitaire affecte également les populations du Myanmar qui ne se sont pas déplacées, mais qui requièrent des soins ou des vivres en raison des conflits qui se déroulent dans le pays.

L’article 3 commun aux Conventions de Genève prévoit que les personnes blessées et malades seront recueillies et soignées. De plus, selon la règle 55 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier, les parties au conflit doivent assurer et faciliter le passage de secours humanitaires destinés aux personnes civiles, autant en situation de CAI qu’en situation de CANI. Cette règle précise également que l’accès aux secours humanitaires doit être délivré de manière impartiale, et « sans aucune distinction de caractère défavorable ». Ceci implique donc que le gouvernement du Myanmar ne peut pas choisir à qui cette aide devrait être destinée ou interdite. En vertu du DIH, le Myanmar devrait autoriser ces actions de secours à atteindre les populations civiles situées sur son territoire, sous réserve d’un droit de contrôle mentionné par la règle 55, mais qui se doit de ne pas être discriminatoire.

V-Les violences sexuelles commises dans le cadre des conflits au Myanmar

Plusieurs organisations internationales (Amnesty International, Human Rights Watch) ont alerté le public sur la présence de violences sexuelles commises dans plusieurs villages dans le cadre des conflits qui font rage au Myanmar. Il a été rapporté que ces violences sont systématiques et particulièrement dirigées contre les Rohingyas.

Dans un rapport publié en 2019, le Conseil des droits de l’Homme a mis en avant le fait que ces violences sont perpétrées par les forces du gouvernement, mais aussi par les groupes armés dans les zones où le gouvernement n’a plus le contrôle. Or, le DIH prohibe la discrimination basée sur le genre ainsi que les actes de violence sexuelle. Dans le cadre des CANIs, l’interdiction des violences sexuelles n’est pas formulée explicitement par l’article 3 commun aux Conventions de Genève, mais peut être déduite des interdictions de la torture, des sévices corporels ou des atteintes à la dignité, comme l’explique le commentaire dudit article (voir paras 696-707). De façon plus explicite, les actes de viol et de violences sexuelles sont interdits par la règle 93 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier autant pour les CAIs que les CANIs. Il convient de rappeler à ce titre que le DIH coutumier est opposable erga omnes, à la fois aux membres des forces armées étatiques et aux membres des groupes armés.

Ainsi, la pratique des violences sexuelles, qui sont souvent utilisées comme méthode de guerre dans les conflits (au Myanmar le viol est employé comme arme de guerre dans des opérations militaires de « nettoyage ethnique »), est une violation manifeste du DIH de la part des groupes armés et des forces gouvernementales, constitutive de crime de guerre (article 8.e)vi) du Statut de Rome). La terreur et la fuite provoquées par ces violences sexuelles tombent sous le coup de deux autres règles du DIH, la règle 2 ainsi que la règle 129 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier, qui prohibent respectivement le terrorisme (répandre la terreur dans la population civile à travers ces violences sexuelles), et le déplacement forcé (la population qui fuit certains lieux où sont commis ces violences sexuelles).

Bien que les femmes et les filles soient disproportionnément victimes de ce type de violence dans ce conflit au Myanmar, une mission indépendante d’établissement des faits a également rapporté que des hommes, des garçons et des personnes issues de diversités de genre, telles que les personnes trans* ont également été pris pour cible par des actes de violences sexuelles. Dans les conflits armés, y compris dans ceux se déroulant au Myanmar, la violence sexuelle n’est pas exercée de la même manière selon qu’elle touche les femmes, les hommes, ou les autres personnes. Elle n’est pas non plus dénoncée de la même manière (voir notamment la conférence de Mathilde Doucet, à partir de 1h36). En effet, les violences sexuelles qui ne sont pas dirigées contre les femmes sont moins rapportées, notamment à cause des stigmas qui entourent les relations sexuelles entre personnes de même genre, que ces relations soient consenties ou non, mais aussi à cause du climat anti LGBT+ qui règne dans certains pays. Par exemple, au Myanmar, si les relations entre personnes de même genre ne sont pas explicitement interdites, le code pénal, qui interdit les relations charnelles contre-nature, a souvent servi de base à la persécution des personnes LGBT+ dans ce pays. Si cette persécution fait déjà rage en temps de paix, celle-ci est aggravée pendant les conflits armés.

Les violences sexuelles contre les hommes, lorsqu’elles sont rapportées, sont souvent commises en détention, alors que celles exercées à l’encontre des femmes le sont plutôt durant la conduite des hostilités. De telles pratiques ont été relevées au Myanmar dans la prison de Buthidaung. Dans de tels cas, la violence sexuelle est utilisée non pas comme méthode de guerre mais comme moyen de torture, dans le but de dégrader et d’humilier les détenus, mais aussi d’obtenir d’eux des confessions (voir rapport du Conseil des droits de l’Homme au para 1364). Or, l’article 3 commun aux Conventions de Genève, à son alinéa 1)a), interdit l’utilisation de la torture et des mauvais traitements contre les personnes détenues.

En ce qui concerne la violence sexuelle contre les personnes issues de minorités de genre, la Mission d’établissement des faits envoyée au Myanmar a constaté, en ce qui concerne les personnes trans*, que la violence sexuelle exercée contre ces personnes pendant le conflit était motivée par la volonté de torturer, de dégrader et de punir les victimes. Or, tout comme les personnes détenues, le DIH proscrit à son article 3 commun l’utilisation de la torture sur toutes les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités dans le cadre des CANIs.

En décembre 2018, le Gouvernement du Myanmar et le représentant spécial de l’ONU sur les violences sexuelles dans les conflits armés ont signé un communiqué cherchant à établir des priorités concernant la prévention et la poursuite des violences sexuelles, ce communiqué est doublé d’un comité national qui aide à sa mise en œuvre.

 

VI-Réfugiés et apatridie : le cas des Rohingya

            Sur ce sujet, voir également le billet d’Osons le DIH : « Leçons tirées du cycle de conférence annuel de l’American Society of International Law (3/3) : Atrocités de masse et apatridie, (re)considérer le cas des Rohingyas ».

A-L’apatridie

Les Rohingyas constituent la minorité musulmane sunnite la plus importante du pays, vivant principalement dans l’État de Rakhine, dans le nord-ouest du Myanmar. En 1982, les autorités du Myanmar ont passé une loi demandant aux différentes ethnies du pays de prouver leur présence en Birmanie avant 1823, date du premier conflit anglo-birman et de l’arrivée des colons britanniques, afin d’obtenir ou de conserver la citoyenneté birmane. À la suite de cette loi, 135 ethnies birmanes ont conservé leur nationalité, mais pas les Rohingyas, pour qui les conséquences ont été désastreuses. Cette politique est représentative des nombreuses campagnes haineuses proférées à l’encontre de cette minorité de confession musulmane. Selon le HCR, cette loi a été à l’origine de près d’un million de personnes apatrides dans l’État de Rakhine, au Myanmar, où vivent principalement les Rohingyas. Considérés comme des étrangers au Myanmar, les Rohingyas sont victimes de multiples discriminations (travail forcé, accès limité à l’éduction et aux services publics, …) et se retrouvent privés de leurs droits les plus élémentaires puisqu’ils ne sont ressortissants d’aucun État.

L’« apatridie » renvoie, selon l’article premier de la Convention sur l’apatridie de 1954, aux personnes « qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ». Elle est loin d’être un phénomène rare, puisque selon le HCR, on estime que plusieurs millions de personnes seraient apatrides dans le monde. L’apatridie étant souvent le résultat de politiques visant à exclure des personnes rejetées par un pays donné, et cela en dépit de leurs liens profonds avec celui-ci. Cette thématique est cependant soumise à plusieurs principes fondamentaux. Tout d'abord, l’article 15 de la DUDH énonce que chacun a le droit à une nationalité. De plus, la Convention sur l’apatridie de 1954 a été rédigée de sorte à assurer que les personnes apatrides puissent bénéficier d’un minimum de droits fondamentaux, et la Convention sur la réduction des cas d’apatridie de 1961 ambitionne pour sa part de prévenir et de réduire l’apatridie dans le monde.

En l’espèce, si le Myanmar n’a pas ratifié la Convention sur l’apatridie de 1954, ni même celle sur la réduction des cas d’apatridie de 1961, toujours est-il que la DUDH énonce au deuxième alinéa de son article 15 que « [n]ul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ». La loi birmane de 1982 va donc à l’encontre de ce texte, dont les articles sont certes non contraignants, mais ont acquis pour la plupart la valeur de coutume internationale. Pour remédier à ce problème, des sites d’enregistrement ont été mis en place dans des camps de réfugiés dans lesquels se trouvent des Rohingyas apatrides du Myanmar. Ainsi, le HCR indiquait, en mai 2019, que près de 270 000 personnes apatrides du Myanmar étaient en voie d’obtenir une carte d’identité, « ce qui représente pour elles un pas vers une vie plus digne ».

B-Réfugiés

En raison des persécutions historiques, des conflits internes et de l’instabilité politique qu’ils subissent, des centaines milliers de Rohingyas ont fui le nord de l’État de Rakhine, pour se rendre au Bangladesh, en Malaisie, en Indonésie, en Thaïlande ou encore plus récemment en Inde. Bien qu’ils aient commencé à fuir la violence depuis le début des années 1990, l'apogée de leur exode massif a été atteint en août 2017, lorsque des violences ont éclaté entre l’armée birmane et les rebelles Rohingyas. Dans les années qui ont suivies, plus d’un million de Rohingyas ont fui le pays pour se rendre au Bangladesh, où ces derniers vivent désormais dans des camps de fortune insalubres et surpeuplés. La plupart d’entre eux ont notamment trouvé refuge dans et autour des camps de Kutupalong et Nayapara, dans le district bangladais de Cox’s Bara. Par conséquent, le méga-camp de Kutupalong-Balukhali est aujourd’hui le plus densément peuplé du monde : composé d’une population plus importante que la ville de Lyon, il accueille de nombreuses femmes enceintes, des jeunes enfants, des malades et des personnes âgées. Parmi eux, on estime notamment que plus de 400 000 enfants Rohingyas en âge d’être scolarisés vivent dans des camps de réfugiés du Bangladesh. Cette situation exerce une pression supplémentaire sur les services et moyens déjà limités des autorités du Bangladesh qui, malgré les efforts de collaboration étroite des organismes locaux avec la Croix-Rouge, sont déjà confrontés à des risques de catastrophes naturelles telles que les inondations ou les glissements de terrains.

Si nous parlons des Rohingyas ayant fui leur pays comme de personnes « réfugiées », cette notion renvoie en réalité à un statut juridique devant répondre à des critères bien précis. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ainsi que son Protocole de 1967 définissent à leur article premier les « réfugiés » comme toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité (…) ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ». Si un individu répond à cette définition, le principe de non-refoulement inscrit à l’article 33 de cette même convention l’empêche de se faire expulser ou refouler à la frontière d’un État dont il demande la protection.

En l’espèce, les Rohingyas ont fui le Myanmar en raison de persécutions dues à leur religion musulmane. De plus, la Convention relative au statut des réfugiés inclut dans sa définition les personnes sans nationalité, à savoir les « apatrides », englobant de ce fait la communauté des Rohingyas qui, comme mentionné plus haut, a perdu dans son ensemble la nationalité birmane en 1982. Toutefois, aucun des pays vers lesquels les Rohingyas ont principalement fui n’ont ratifié la Convention de 1951 ainsi que son Protocole facultatif de 1951. Les Rohingyas ont par ailleurs été largement refoulés aux frontières de ces États d’Asie du Sud-Est ou ont été privés de tout droit lorsqu’ils sont parvenus à entrer sur ces territoires. Par exemple, en 2012, le gouvernement bangladais a reconnu avoir repoussé sur les terres ou dans les mers de nombreux Rohingyas, de même que la Thaïlande ou encore la Malaisie. Pour autant, certains Rohingyas ont tout de même obtenu le droit d’asile : d’après un site recensant les décisions relatives aux demandes d’asile des réfugiés du Myanmar par pays, près de 2,000 demandes d’asiles de personnes en provenance du Myanmar ont été acceptées en 2021, principalement en Malaisie. En marge de ces difficiles conditions de vie, le retour des Rohingyas au Myanmar semble à l’heure actuelle compromis : récemment, la Haut-Commissaire de l’ONU aux droits humains, Michelle Bachelet, a affirmé que les « conditions ne sont pas réunies pour le retour » des réfugiés rohingyas au Myanmar.

Pour faire le lien avec la situation des réfugiés liés au conflit en Ukraine, déjà traitée par Osons le DIH, cliquez ici.


Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

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