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Les règles de ciblage en droit international humanitaire

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30 Janvier 2024


Ce billet est la version française du « Highlight » publié simultanément par le Comité international de la Croix-Rouge et dont la version originale se trouve ici, il n’est pas le fruit du travail de la personne mentionnée qui en est le traducteur.


 

Qu’est-ce que le ciblage signifie en droit international humanitaire (DIH) ? Comment le DIH limite qui et quoi peut être ciblé dans un conflit armé ? Quelles sont les règles en vertu desquelles certaines personnes et certains biens sont protégées contre les attaques directes, et quelles conditions doivent être remplies pour qu’une attaque soit licite ? L’objectif du droit international humanitaire est de garantir un minimum d’humanité en période de conflit armé en cherchant à réduire les souffrances causées à celles et ceux qui ne participent pas ou plus aux hostilités. Les règles relatives au ciblage sont primordiales dans cette optique, considérant qu’elles déterminent contre qui et selon quelles conditions la force armée peut être utilisée, même dans le feu des hostilités.

 

Définir le ciblage

Le ciblage peut être défini comme l’usage de la force par les parties belligérantes – qu’il s’agisse des forces armées d’un État ou de groupes armés organisés – contre des individus ou des biens qui ne sont pas sous leur contrôle. Le ciblage est réglementé en droit international humanitaire, plus spécifiquement par les règles régissant la conduite des hostilités qui définissent et limitent qui et quoi peut être ciblé, et sous quelles conditions.

Quand les règles relatives au ciblage s’appliquent-elles?

Pour évaluer la licéité d’une décision de ciblage, il convient de déterminer dans un premier temps si le DIH s’applique en l’espèce (voir qualification du conflit). Après avoir déterminé si le DIH est applicable ou non, il convient dans un second temps d’établir quelles règles de DIH s’appliquent aux faits de l’espèce, selon qu’il s’agisse de faits relevant de la conduite des hostilités (anciennement désignées comme le « Droit de La Haye ») ou du traitement des personnes au pouvoir d’une partie au conflit (anciennement désignées comme le « Droit de Genève »). Les règles relatives à la conduite des hostilités s’appliquent aux personnes ou aux biens qui ne sont pas aux mains de la partie attaquante. À l’inverse, les règles relatives au traitement des personnes s’appliquent uniquement à l’égard des individus au pouvoir d’une partie (tels que les internés, les prisonniers de guerre, les détenus, les blessés et les malades, les habitant-e-s de territoires occupés) et établissent que de telles personnes sont hors de combat et sont ainsi protégées des attaques en tout temps. En ce qui concerne les biens, malgré le fait qu’une partie à un conflit puisse attaquer les bâtiments qui représentent des objectifs militaires durant les hostilités, elle ne peut pas forcément détruire des biens similaires sur lesquels elle exerce un contrôle au sein d’une zone qu’elle occupe.

Les règles relatives au traitement des personnes au pouvoir d’une partie au conflit diffèrent de façon importante selon qu’il s’agisse d’un CAI ou d’un CANI, par exemple en ce qui concerne les détails qui sont fournis sur le traitement de certaines catégories de personnes. À l’inverse, la plupart des règles relatives à la conduite des hostilités s’appliquent au titre de droit international humanitaire coutumier à la fois dans les CAIs et les CANIs. La qualification du conflit peut cependant avoir un impact pour certaines règles protégeant des biens spécifiques, tels que ceux qui sont mentionnés dans le Protocole additionnel I auquel certains États ne sont toujours pas parties.

Les règles cardinales

Trois règles cardinales doivent être remplies afin qu’une attaque soit licite en vertu du droit international humanitaire. Cette analyse présuppose que les moyens et les méthodes de guerre utilisés pour le ciblage sont licites, étant donné que toute attaque ayant recours à des moyens ou des méthodes de guerre interdits sont automatiquement illicites.

La distinction

Le principe de distinction est la pierre angulaire du droit international humanitaire. Dans les CAIs, il a été retranscrit en tant que règle exigeant des parties à un conflit armé qu’elles fassent constamment la distinction entre les combattants d’un côté, et les civils et les personnes hors de combat de l’autre, et qu’elles ne ciblent que les combattants. Dans les CANIs, ce principe exige que les parties à un conflit armé fassent constamment la distinction entre les personnes ayant une fonction de combat continue et celles qui n’en ont pas, et qui ne participent plus directement aux hostilités, et que les parties ne ciblent que les personnes avec une fonction de combat continue et les civils qui participent directement aux hostilités pendant leur participation. En conséquence, les combattants et les personnes ayant une fonction de combat continue doivent se distinguer (c’est-à-dire permettre à leurs ennemis de les identifier) de toutes les autres personnes qui ne peuvent pas être attaquées. La règle de distinction protège ainsi les personnes civiles des attaques directes, à moins qu’elles ne participent directement aux hostilités et uniquement pendant la durée de cette participation (Article 51(3) du Protocole additionnel I, Règle 6 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier).

De façon similaire, les parties à un conflit armé doivent toujours faire la distinction entre les objectifs militaires et les biens civils, et ne cibler que les objectifs militaires (articles 48 et 51(2) du Protocole additionnel I, Règles 1 et 7 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier). De plus, certains biens qui sont considérés comme des biens spécialement protégés en raison de leur nature civile, tels que les biens sanitaires, les biens culturels ou les lieux de culte, bénéficient également d’une protection spéciale (voir par exemple l’article 19 de la Convention de Genève I et la Règle 28 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier. Voir aussi par exemple les articles 53, 54, 55, 56 et 85(4) du Protocole additionnel I ; les articles 14 et 16 du Protocole additionnel II). Les biens bénéficiant d’une protection spéciale ne doivent normalement pas non plus être utilisés à des fins militaires par la partie qui les contrôle.

En cas de doute concernant le statut d’un individu ou d’un bien, celui-ci doit être présumé comme étant de nature civile et être ainsi protégé des attaques (article 52(3) du Protocole additionnel I, Règles 5 et 10 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier). Le principe de distinction implique aussi l’interdiction des attaques indiscriminées (Article 51(4) du Protocole additionnel I, Règle 11 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier).

Toute attaque menée en violation de la règle de distinction est toujours considérée comme illicite. Cependant, même quand l’attaque est dirigée contre un objectif militaire licite, en conformité avec la règle de distinction, des conditions supplémentaires doivent être remplies en vertu de la règle de proportionnalité et de l’obligation de prendre toutes les précautions pratiquement possibles.

La proportionnalité

Même quand la cible est un objectif militaire, la règle de proportionnalité interdit les attaques « dont on peut attendre qu'elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu » (Article 51(5)(b) du Protocole additionnel I, Règle 14 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier).

La responsabilité d’évaluer la proportionnalité d’une attaque en se basant sur les circonstances, l’analyse et les informations disponibles au moment de lancer l’attaquer, repose en priorité sur le commandant en charge pour la partie attaquante. Cependant, en pratique, appliquer la proportionnalité dépend inévitablement d’une évaluation subjective de l’avantage militaire concret et direct attendu, de la prévision des effets incidents de l’attaque sur les civils ou les biens civils, et des risques que ces effets puissent être « excessifs » par rapport à un tel avantage.

La règle de la proportionnalité est centrale en DIH, car elle représente le compromis entre les principes d’humanité et la nécessité militaire qui sous-tendent ce droit et qui en font un cadre juridique réaliste et raisonnable dans les situations d’hostilités. La proportionnalité est complétée par plusieurs obligations de prendre toutes les précautions pratiquement possibles, qui jouent un rôle crucial pour garantir que les règles de distinction et la proportionnalité soient suivies d’effets concrets sur le champ de bataille.

Les précautions

Dès lors que les exigences des règles de la distinction et de la proportionnalité ont été remplies, la partie attaquante doit alors également prendre toutes les précautions pratiquement possibles pour éviter, ou au moins minimiser, les pertes civiles incidentes, les blessures de civils et les dommages aux biens civils (Article 57 du Protocole additionnel I, Règle 15 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier). De telles mesures de précaution impliquent le fait de vérifier les cibles, de choisir des méthodes et des moyens de guerre appropriés, d’évaluer les effets des attaques, d’envoyer des avertissements, de sélectionner la cible appropriée pour éviter ou au moins minimiser les souffrances des personnes civiles, et d’exercer un certain contrôle durant l’exécution des attaques, incluant la capacité de suspendre ou d’annuler toute attaque si la cible s’avère ne pas être un objectif militaire ou si l’attaque apparaît être disproportionnée (article 57 du Protocole additionnel I, Règles 16 à 21 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier).

En raison de leur nature profonde, les conflits armés causent des destructions et des souffrances. Bien que les règles de DIH relatives au ciblage ne soient en aucun cas un moyen de rendre les hostilités inoffensives, leur respect inconditionnel par les parties belligérantes, en tant qu’obligations juridiques, est absolument crucial dans le but de limiter les souffrances et ainsi ouvrir la voie à une paix durable une fois que les hostilités ont cessé.

Ressources pédagogiques

Le droit

Une présentation détaillée des règles de DIH relatives au ciblage durant la conduite des hostilités peut se trouver les chapitres relatifs au « Principle of Distinction (Principe de distinction) » et « Conduct of Hostilities (Conduite des hostilités) » de la section « The Law (Le droit) ». Voir aussi les chapitres « Fundamentals of IHL (Les fondamentaux du DIH) » et « IHL and Human Rights (DIH et droits humains) » concernant l’applicabilité du DIH à l’usage de la force (en anglais seulement sur le site, en français dans l’ouvrage équivalent mais non mis à jour : « Un droit dans la guerre ? »).

La pratique

Une sélection d’études de cas pertinents tirés de The Practice (La pratique) illustrent plus en détail :

L’applicabilité des règles de DIH relatives à la conduite des hostilités :

Le principe de distinction : le ciblage des personnes

Le principe de distinction : le ciblage des biens

La proportionnalité et les précautions : l’obligation de protéger les personnes civiles des effets des hostilités

A à Z

Les définitions pertinentes peuvent être trouvées dans la section « A to Z (A à Z) » (en anglais seulement) :

Armes, Attaques, Attaques indiscriminées, Avantage militaire, Avertissement, Biens civils, Biens protégés, Bombardement, Boucliers humains, Civils, Civils participant directement aux hostilités, Combattants, Conduite des hostilités, Distinction, Droit de Genève, Droit de La Haye, Droit international humanitaire coutumier, Drones, Éliminations ciblées, Emblèmes distinctifs, Forces armées, Groupes armés, Hôpitaux, Hors de combat, Journalistes, Les précautions dans l'attaque, Méthodes de guerre, Mise en œuvre du droit, Moyens de guerre, Nécessité militaire, Objectifs militaires, Participation directe aux hostilités, Personnes exerçant une fonction de combat continue, Personnes protégées, Perte de protection, Population civile, Présomptions, Principes fondamentaux du DIH, Proportionnalité, Protection des enfants, Protection de la population civile, Punitions collectives, Qualification des personnes, Statuts, Usage de la force, Zones et localités sanitaires, Zones et localités sanitaires et de sécurité.                   

Pour aller plus loin

Les directives, les commentaires, les règles, les documents et les ressources peuvent aider à explorer plus en profondeur le droit relatif au ciblage en période de conflit armé :

Étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier, chapitres 1-5, et 7-14.

Nils Melzer, Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités en droit international humanitaire, CICR (2009).

CICR & Université Laval, International expert meeting report: The principle of proportionality (2016) (en anglais seulement)

Jelena Pejic, Le ciblage extraterritorial au moyen de drones armés : quelques conséquences juridiques, Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 96, Sélection française (2014), pp. 69–110.

CICR, Emploi d’armes explosives en zones peuplées - Réunion d'experts (2020)

Political Declaration on Strengthening the Protection of Civilians from the Humanitarian Consequences Arising from the Use of Explosive Weapons in Populated Areas (2022) (en anglais seulement)

CICR, Réduire les dommages civils dans le combat en zone urbaine : manuel du commandant (2021)

CICR, Réduire les dommages civils dans le combat en zone urbaine : manuel à l’usage des groupes armés (2023).

CICR, Douze enjeux pour 2022 : Ce que les États peuvent faire pour améliorer le respect du DIH, pp. 4-6

CICR, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains – Engagement renouvelé en faveur de la protection dans les conflits armés à l’occasion du 70e anniversaire des Conventions de Genève, (2019), pp. 15-40.

Helen Durham et al, Gendered impacts of armed conflict and implications for the application of IHL, Humanitarian Law and Policy Blog (2022) (en anglais)


Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

Évènements et symposium : 

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