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#3 Le droit applicable aux affrontements en cours en Ukraine, un éclairage d’Osons le DIH !

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Marine Colomb

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8 Mars 2022

Le droit applicable aux affrontements en cours en Ukraine, un éclairage d’Osons le DIH ! #3

 

Alors que cela fait maintenant presque deux semaines que la Fédération de Russie mène une offensive militaire sans précédent sur le territoire ukrainien, un grand nombre de questions juridiques continuent de se poser. Les deux éclairages précédents nous ont permis de mettre en lumière par exemple le droit applicable aux prisonniers de guerre, certains aspects généraux de la conduite des hostilités, la notion de « couloirs humanitaires », ou encore le statut des « combattants étrangers »

Le conflit se poursuit et avec lui certaines pratiques encadrées par le droit international humanitaire, un droit spécifiquement conçu pour s’appliquer pendant les conflits armés. Un droit qui ne laisse rien au hasard, comme le démontre encore ce troisième éclairage. Un droit pragmatique, négocié comme tel par les États en particulier dans le cadre de la rédaction des Conventions de Genève de 1949 et de leurs Protocoles additionnels de 1977, et agile, qui a su embrasser toutes les pratiques qui se sont faites jour dans les conflits armés contemporains. Un droit qui protège les personnes hors de combat et qui pose des limites aux moyens utilisés pour mener les hostilités. Un droit dont il faut continuer de porter la voix parce que les conflits armés ne sont pas - pas du tout - une zone de non droit, et parce que le droit international humanitaire fait une différence réelle, au quotidien, pour les personnes affectées par les conflits armés.

Les questions abordées étant toujours denses, il est possible de naviguer par thématique dans cette note de blogue, qui aborde :

Les précédents billets sont disponibles ici : billet 1 (27 février 2022) ; billet 2 (4 mars 2022).

D'autres billets publiés après sont disponibles ici : billet 4 (15 mars 2022) ; billet 5 (24 mars 2022) ; billet 6 (1 avril 2022)billet 7 (12 avril 2022)

Siège de villes

Depuis le 1er mars 2022, la Fédération de Russie organise ses troupes autour de la capitale ukrainienne. Selon différents médias internationaux, la stratégie militaire russe serait de s’emparer des grandes villes de l’Ukraine et de les assiéger. Depuis plusieurs jours, la ville de Marioupol serait sous contrôle russe et ferait l’objet de bombardements en continu. Cette ville revêt un intérêt stratégique, puisqu’en plus d’être la plus grande ville portuaire d’Ukraine, sa prise permettrait d’établir un lien entre les forces russes de Crimée et du Donbass. Jeudi 3 mars, le maire de la ville portuaire de Kherson a déclaré que les forces russes se sont emparées de la ville. Cette stratégie a des conséquences importantes sur la population civile, qui pourrait ne plus avoir accès à l’eau, à l’électricité, au chauffage, à la nourriture et aux médicaments, puisque ces denrées ne circulent plus dans les villes concernées. Dans la ville de Tchernihiv, un hôpital pour enfant serait encerclé par les forces russes et commencerait à être en manque d’analgésiques et de nourriture. Enfin, dans certaines villes où quelques commerces sont encore ouverts, il faudrait passer par une longue file d’attente pour rentrer dans une épicerie ou une pharmacie.

La notion de « siège » n’est pas une expression consacrée du droit international humanitaire et les traités qui y font explicitement référence sont limités. Toutefois, selon le Comité international de le Croix-Rouge (p. 24 du rapport du CICR de 2019 sur les défis posés par les conflits armés contemporains), le siège s’entend comme « une tactique pour encercler les forces armées d’un ennemi afin de l’empêcher de faire le moindre mouvement ou de le couper de tout soutien et des canaux d’approvisionnement », dans le but de le forcer à se rendre. Cette stratégie n’est pas en tant que telle interdite par le droit international humanitaire, à condition que le siège soit effectué uniquement contre des objectifs militaires. Autrement dit, la tactique du siège doit être employée seulement contre des biens qui par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre un avantage militaire précis en vertu de l’article 52(2) du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) et de la règle 8 de droit international humanitaire coutumier tel qu’identifié par le Comité international de la Croix-Rouge.

Si des attaques sont menées pendant le siège, elles doivent respecter l’ensemble des règles relatives à la conduite des hostilités (distinction, précaution, proportionnalité et interdiction des maux superflus). Lors d’un siège, les parties à un conflit armé ont l’obligation de répondre aux besoins de la population civile. Si elles ne sont pas en mesure de subvenir aux besoins de la population civile, elles ont l’obligation de faciliter le libre accès aux secours humanitaires tel qu’énoncé à l’article 70(2) du Protocole additionnel I ainsi qu’à la règle 55 de droit international humanitaire coutumier tel qu’identifié par le Comité international de la Croix-Rouge. Ainsi, tout siège empêchant l’accès de la population civile à l’aide humanitaire est interdit. Les parties au conflit peuvent conclure des arrangements pour évacuer les blessés, des malades ou des personnes vulnérables d’une zone assiégée et pour laisser passer le personnel sanitaire et religieux dans une telle zone (article 15 de la Première Convention de Genève pour les combattants hors de combat et article 17 de la Quatrième Convention de Genève pour les civils.

Toute méthode de guerre qui consisterait à utiliser la famine – par exemple affamer les civils d’une ville afin qu’ils se rendent plus rapidement – est interdite en droit international humanitaire (article 54(2) du Protocole additionnel I et règle 53 de l’étude de droit international humanitaire coutumier). La famine ne concerne pas seulement la privation d’eau et de nourriture, mais également la privation de tout article nécessaire à la survie de la population. Il est donc fondamental que les parties à un conflit permettent et facilitent l’accès à l’aide humanitaire destinée aux civils vivant dans une ville assiégée. L’interdiction de la famine comme méthode de guerre comprend également l’interdiction d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie de la population civile (voir la règle 54 de droit international humanitaire coutumier).

Au total, bien que les sièges ne soient pas interdits par le droit international humanitaire, cette méthode de guerre n’est ignorée du droit puisque toutes les règles du droit des conflits armés s’y appliquent, en particulier en ce qui concerne l’accès des civils aux biens essentiels à leur survie.

Les centrales nucléaires

Il a été rapporté par les médias qu’une attaque sur le site de la centrale nucléaire de Zaporijia, a été initiée par les forces armées russes dans la nuit du 4 au 5 mars. Cette opération a déclenché un incendie près d’un réacteur, faisant craindre un risque important pour la sécurité nucléaire du continent. Bien que le feu ait été maitrisé depuis, l’Ukraine a informé le Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) que « les forces russes avaient pris le contrôle du site de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporizhzhia mais que celle-ci continuait d’être exploitée par son personnel habituel et qu’il n’y avait eu aucun rejet de matières radioactives ». En réponse, le directeur de l'AIEA a déclaré être « extrêmement préoccupé par la situation […]. Le tir d’obus dans la zone d’une centrale nucléaire [violant] le principe fondamental selon lequel l’intégrité physique des installations nucléaires doit être maintenue et sécurisée à tout moment ».

Cet incident ne semble pas être un accident isolé puisqu’il fait suite à la prise de contrôle par les forces armées russes du site radioactif de Tchernobyl depuis le 24 février 2022.

Dans l’hypothèse où la centrale de Zaporijia aurait été visée intentionnellement, il convient de rappeler que, durant un conflit armé, les attaques ne peuvent viser que des objectifs militaires au sens de l’article 52(2) du Protocole additionnel I de 1977, dont la définition a été rappelée au point précédent.  S’il est de toute façon difficilement envisageable que la prise de contrôle d’une centrale nucléaire par une partie au conflit puisse répondre à la définition de l’objectif militaire rappelée ci-haut, certains ouvrages bénéficient de toute façon d’une protection spéciale en droit international humanitaire. Il en résulte qu’ils ne peuvent pas être ciblés même s’ils représentent un objectif militaire. C’est le cas des centrales nucléaires qui, en vertu de l’article 56(1) du Protocole additionnel I, ne peuvent jamais faire l’objet d’attaques, en raison des « forces dangereuses » qu’elles sont susceptibles de libérer si elles sont attaquées. Dans l’hypothèse où les dommages envers la centrale nucléaire ne seraient pas volontaires mais incidents, l’article 56 énonce également que « les autres objectifs militaires situés sur ces ouvrages ou installations ou à proximité ne doivent pas [non plus] être l’objet d’attaques ». Il s’agirait de plus d’une violation de la règle relative aux précautions dans l’attaque, qui vise à prendre toutes les mesures pratiquement possibles pour limiter les pertes et dommages dans la population civile. Mener des combats auprès de ces forces dangereuses respecterait difficilement une telle exigence.

L’article 56 de ce même Protocole, à son alinéa 2, prévoit que la protection spécifique d’une centrale nucléaire peut cesser si elle fournit à travers sa production d’électricité un appui « régulier, important et direct aux opérations militaires, et si de telles attaques sont le seul moyen pratique de faire cesser cet appui ». Toutefois, il s’agit de conditions cumulatives qui ne semblent pas être réunies s’agissant des attaques de la Fédération de Russie contre la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia.

Les armes nucléaires

Aux termes du droit international humanitaire, les armes nucléaires font l’objet d’une interdiction implicite, tant il apparaît impossible que leur utilisation puisse respecter toutes les règles relatives à la conduite des hostilités. Si la règle de la distinction (voir notamment articles 51 et 52 du Protocole additionnel I) pourrait être respectée dans le cas où une arme nucléaire serait dirigée exclusivement vers un objectif militaire, une telle arme violerait cependant :

1-la règle de la proportionnalité (voir notamment article 57.2.a)ii du Protocole additionnel I), compte tenu des dommages excessifs à l’environnement, aux biens de caractère civil et aux populations civiles qui en résulteraient ;

2-la règle relative aux mesures de précaution (voir notamment article 57.2.a)ii du Protocole additionnel I), en raison de l’étendue des dégâts qu’elle provoquerait, aussi bien géographiquement (de 2 à 20 kilomètres autour du point d’impact) que dans le temps compte tenu des effets des radiations autour de la zone d’impact qui peuvent perdurer plusieurs années (tels que le développement de cancers ou de leucémies) ;

3-l’interdiction des maux superflus (voir notamment article 35.2 du Protocole additionnel I), compte tenu de ses effets (brûlures, aveuglement, développement de maladies ...)

4-l’interdiction d’utiliser des armes susceptibles de causer des dommages étendus, durables, et grave à l’environnement naturel (voir notamment article 35.3 du Protocole additionnel I).

La Cour internationale de justice a eu l’occasion de le dire dans son avis consultatif relatif à la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires : cela « serait généralement contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés, et spécialement aux principes et règles du droit humanitaire ». S’il existe en la matière un Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, ces efforts doivent encore être poursuivis.

L'accueil de tous les réfugiés sans distinction

Comme il a été mentionné dans notre premier billet de blogue, le nombre de réfugiés qui fuient l’Ukraine ne cesse d’augmenter de jour en jour. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, au moins 1,5 millions de réfugiés ont traversé l’Ukraine pour rejoindre d’autres pays. Parmi ces personnes figurent des ressortissants de pays tiers, notamment de pays africains. Les réseaux sociaux et les médias relayent des témoignages selon lesquels ces ressortissants de pays tiers se sont vu refuser l’entrée en Pologne. Ces personnes expliquent être empêchées de monter dans les trains et dans les bus pour la Pologne. Certaines soulignent que selon les gardes-frontières, seuls les « vrais ukrainiens » pourraient traverser la frontière. Cette discrimination à laquelle les ressortissants de pays africains sont confrontés a suscité de vives réactions, notamment de la part des institutions africaines (voir la déclaration de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest et celle de l'Union africaine).

Selon la définition de réfugié, tel qu’énoncé à l'article 1.A.2 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, il n’existe pas de critère distinctif qui serait lié à la nationalité pour bénéficier de ce statut, contrairement à ce qui semble s’appliquer en Ukraine. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle il a été consacré au sein de la Convention le principe de non-discrimination à l'article 3, qui interdit aux États toute distinction à l’égard des réfugiés en raison notamment de la race, la religion ou la nationalité. Cette interdiction de la discrimination est également reconnue dans plusieurs instruments de protection du droit international des droits humains, dont notamment la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. En conséquence, étant donné que les nombreuses personnes qui fuient l’Ukraine vers d’autres pays craignent les mêmes risques, la protection qu’offrent les États à cet afflux massif doit s’appliquer à toute personne sans prise en compte de sa nationalité, et donc y compris aux ressortissants d’États tiers. Cette interdiction de discrimination parmi les réfugiés qui fuient l’Ukraine est également partagée par le  Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. En ce sens, il recommande aux États de permettre l’accès à leurs territoires à toutes les personnes qui vivent en Ukraine et qui sont forcées de fuir le conflit. A défaut d’admettre au moins temporairement les réfugiés de pays tiers, le refus à la frontière de laisser passer les ressortissants de pays tiers constituerait une violation du principe cardinal de non-refoulement tel que formulé à l'article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés. Cette disposition interdit aux Etats de refouler un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée.

L’interdiction de discrimination liée notamment à la nationalité ne doit pas seulement être respectée à l’égard des ressortissants des pays africains mais également à l’égard de tous les individus confrontés à des violences et des conflits, dans n’importe quel pays dans le monde. La volonté des États d’accueillir les réfugiés ukrainiens est une décision conforme au droit. Toutefois, elle ne doit pas se limiter aux seuls nationaux ukrainiens. C’est en ce sens que le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés exhorte les États à manifester cette même volonté envers tous les réfugiés, notamment les réfugiés Syriens, Afghans, Soudanais, Érythréens, qui sont eux aussi contraints de fuir leurs pays en raison de conflits armés ou de violences généralisées.

La liberté de la presse en Russie

Le 4 mars 2022 la Fédération de Russie a adopté une loi instaurant des peines de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans pour la diffusion d’«informations mensongères » concernant les forces armées russes ainsi que leur implication dans le conflit ukrainien. À la suite de cette annonce, plusieurs médias occidentaux, notamment CBC/Radio Canada ainsi que la BBC ont pris la décision de suspendre les activités de leurs journalistes basés en Russie afin d’éviter de potentielles représailles. Le gouvernement russe a affirmé que cet amendement au code criminel était nécessaire pour empêcher la propagation de « fausse informations » sur ce qui se passe dans le conflit en Ukraine, notamment pour contrer le biais pro-ukrainien/anti-russe de ces médias. Outre les journalistes étrangers, le Kremlin a précisé dans un autre communiqué que les nouvelles dispositions de cette loi s’appliquent également aux médias et à la population russe. Les autorités ont d’ailleurs fermé plusieurs médias indépendants dans le pays et ceux qui demeurent actifs sont obligés de n’utiliser que des sources gouvernementales pour leur couverture de la guerre en Ukraine. De plus, l’utilisation de certains termes par les médias, par exemple les mots « guerre » et « invasion » sont désormais interdits.  Le gouvernement russe a par ailleurs bloqué l’accès de la population russe à plusieurs sites internet dont Facebook et Twitter ainsi qu’à certains médias étrangers, incluant la BBC, Voice of America Radio Free Europe/Radio Liberty et Deutsche Welle, sous prétexte d’avoir diffusé de l’information mensongère et discriminatoire envers la Russie. En outre, il a été rapporté le 5 mars dernier que des journalistes de Sky News auraient fait l’objet d’une embuscade : alors qu’elle tentait de rejoindre la ville de Bucha près de Kiev, ils auraient été pris pour cible par un escadron de saboteurs russes.

En droit international des droits humains la liberté de presse et des médias fait partie du droit à la liberté d’expression qui se trouve notamment consacré à l’article 19(2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), énonçant que « toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ». En conformité avec l’article 4 du PIDCP, ce droit ne peut être restreint que dans le cas où un danger public exceptionnel menacerait l'existence de la nation. Tout comme nous l’avons développé dans notre première note de blogue en ce qui concerne la répression à l’égard des manifestants, déroger aux droits contenus dans le PIDCP impose de respecter certaines conditions strictes. Elles ne semblent pas plus réunies en ce qui concerne la liberté d’expression. Si un conflit armé peut effectivement être de nature à menacer l’existence de la nation et ouvrir la possibilité à déroger à certains droits, les mesures prises par le gouvernement russe se révèle tout à fait disproportionnées vis-à-vis du but poursuivi.

La liberté de presse est également protégée en vertu du droit international humanitaire. En effet, selon l’article 79 du Protocole Additionnel I, les journalistes qui couvrent les zones de guerre sont considérés comme des civils. Ainsi, tant et aussi longtemps qu’ils ne participent pas directement aux hostilités, ils doivent bénéficier de la protection qui est accordée aux civils en vertu du principe de distinction. À ce titre, il ne devrait jamais être l’objet d’attaques. La règle 34 de l’étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier le rappelle également en ces termes : les journalistes « qui accomplissent des missions professionnelles dans des zones de conflit armé doivent être respectés et protégés (…) ».

Respecter et faire respecter le droit international humanitaire

Tel que cela a été rapporté dans différents médias, le président de la République française aurait demandé à Vladimir Poutine lors d’une conversation téléphonique de respecter le droit international humanitaire, incluant la protection des populations civiles comme de l’acheminement de l’aide. Cela n’est pas simplement une démarche politique ou une question de bon sens, c’est également une obligation juridique aux termes du droit international humanitaire. Une obligation juridique qui s’applique à tous les États du monde, puisque tous sont parties aux quatre Conventions de Genève de 1949 qui énoncent cette obligation à leur article 1 commun. Cette obligation est double : d’une part les États doivent respecter le droit international humanitaire, ce qui est une obligation classique, et d’autre part, ils doivent le faire respecter, ce qui est une spécificité du droit international humanitaire. Elle s’applique à la fois en temps de paix et en temps de guerre et concerne aussi bien les parties au conflit que les États tiers.

Cette obligation a suscité, et suscite encore aujourd’hui, un certain nombre de débats doctrinaux. Pour s’en tenir à l’essentiel toutefois, il convient de mettre en lumière qu’elle prévoit que tous les États ont l’obligation de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire, cristallisé dans les quatre Conventions de Genève de 1949, par les forces armées et par l’ensemble de la population sur laquelle ils exercent leur autorité. Ainsi, l’obligation de respecter le droit international humanitaire impose aux États parties aux Conventions de Genève de ne pas agir d’une façon qui contreviendrait aux dispositions des Conventions, et d’assurer leur mise en œuvre. Elle impose également un contrôle des actions des États parties, et la mise en place de sanctions, en cas de non-respect. Quant à l’obligation de faire respecter le droit international humanitaire, il s’agit d’une obligation de moyen. Les États parties doivent prendre toutes les mesures appropriées pour éviter que des violations du droit international humanitaire soient commises. 

Si l’obligation de respecter le droit international humanitaire est destinées prioritairement (mais non exclusivement) aux parties au conflit, le commentaire de l’article 1 commun précise que l’obligation de faire respecter comprendrait une « dimension externe ». Cela signifie que les États tiers au conflit devraient prendre des mesures afin de faire respecter le droit international humanitaire. En particulier, ils ont le devoir de s’abstenir d’encourager ou d’aider à la violation des Conventions. En outre, les États tiers ont également le devoir de prendre des mesures pour faire cesser les violations qui seraient en train d’être commises. Dans le cas de la situation en Ukraine, les nombreuses sanctions, notamment économiques, qui ont été adoptées contre la Fédération Russe, mais aussi les déclarations politiques déplorant les violations du droit international humanitaire ont vocation à s’inscrire dans cette obligation.

La saisine de la Cour pénale internationale

La Cour pénale internationale (CPI) est une juridiction pénale internationale qui a été fondée en 1998 par le Statut de Rome. Elle est compétente pour juger des personnes soupçonnées d’avoir commis un ou plusieurs des crimes internationaux les plus graves, soit : le génocide, le crime contre l’humanité, les crimes de guerre ou encore le crime d’agression. En ce qui concerne les crimes de guerre, la CPI a ainsi la possibilité de juger des individus au titre de l’article 8 du Statut de Rome s’ils ont commis des crimes dans le cadre d’un conflit armé. Plusieurs conditions préalables à l’ouverture d’une enquête doivent toutefois être respectées : la Cour doit avoir compétence au regard des crimes allégués, et l’affaire doit être recevable. Ayant vocation à mettre en cause la responsabilité pénale individuelle, se pose aujourd’hui dans les médias la question de savoir si ceux qui ne respectent pas le droit international humanitaire ou qui ordonnent de commettre des violations, incluant les plus hauts dirigeants tel que Vladimir Poutine, pourraient un jour avoir à répondre de leurs actes devant un juge.

En réalité, une enquête de la CPI existe déjà pour ce qui concerne les crimes commis sur le territoire ukrainien depuis 2013. En 2014, après avoir déterminé que toutes les conditions préalables étaient bien réunies, la procureure Fatou Bensouda avait en effet décidé d’ouvrir un examen préliminaire pour des allégations de crimes contre l’humanité commis en Ukraine. Cette procédure avait été rendue possible du fait que l’Ukraine, non-signataire du Statut de Rome, avait préalablement reconnu la compétence de la Cour via deux déclarations (une pour les événements du Maiden, une autre pour les événements de la Crimée et du Donbass), conformément à l’article 12, paragraphe 3 du Statut de Rome, pour des faits ayant eu lieu sur son territoire entre le 21 novembre 2013 et le 22 février 2014. Durant cette période, une partie de la population civile qui avait pris part aux manifestations de Maïdan (opposant ukrainiens séparatistes pro-russes et ukrainiens pro-européens) aurait en effet été la cible d’une violence généralisée de la part de l’appareil étatique, mais la procureure a préféré se pencher sur les faits survenus au Donbass et en Crimée par rapport au critère de gravité pour déterminer si des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité auraient pu être commis.

Environ 39 États membres de la CPI – dont le Canada, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et la Suisse – ont demandé au nouveau procureur Karim Khan de mener une enquête sur des crimes de guerre qui auraient été commis en Ukraine. Il en résulte que la CPI pourrait trancher sur ces allégations et juger les responsables. La justice internationale pénale ne dispose toutefois pas d’une police internationale qui lui permettrait de lui faire amener les personnes qu’elle a vocation à juger, elle devra donc compter sur la coopération des États pour pouvoir mener à bien ses activités.


Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

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