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DIH et popculture : le droit des conflits armés et la saga Hunger Games

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Steve Tiwa Fomekong

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14 Février 2022

Dans ce billet, dont la version youtube se trouve ici, nous vous proposons d'analyser le droit des conflits armés au travers les événements survenus lors des films Hunger Games. Parce-que l'histoire d'amour entre Katniss et Peeta, c'est aussi une histoire d'humanité dans la guerre.

 

En ces temps de Saint-Valentin, la période des amoureux et des amoureuses, l’équipe du popcast d’Osons le DIH vous propose cette fois-ci une histoire d’amour, un triangle amoureux entre l’humanité, les horreurs de la guerre, et un équilibre entre ces deux notions. Un triangle amoureux dont les scissions et les liens évoluent en parallèle aux marques de respect du DIH ou à ses violations. Ce triangle amoureux, c’est celui de Katniss, Gale et Peeta durant les Hunger Games et la révolte qui en a découlé. Aujourd’hui, nous allons vous démontrer pourquoi en choisissant Peeta, Katniss a embrassé l’humanité dans la guerre qu’il représentait, et repoussé la volonté de victoire par n’importe quel moyen que représentait Gale. C’est leur histoire qu’ils sont venus nous raconter, mais c’est aussi l’histoire du droit international humanitaire (DIH), et comment le respecter au mieux lorsque nous jouons le rôle d’un groupe armé dans un conflit armé non international (CANI).

I-Le contexte :

-Katniss : Bonjour à toutes et à tous. Moi, c’est Katniss Evergreen, symbole de la révolution qui a embrasé notre pays. Avant toute chose, il faut se remettre dans le contexte, et vous expliquer quand le conflit armé a vraiment commencé, car l’application du droit de la guerre que nous avons tenté tant bien que mal de respecter, est indissociable de la survenance d’un conflit armé. En réponse à une révolution qui avait échouée il y’a de longues années, le gouvernement de Panem avait décidé de séparer le pays en plusieurs districts afin de mieux contrôler sa population. Diviser pour mieux régner. Au district 12, notre district, nos journées étaient rythmées par le travail et la surveillance rapprochée des pacificateurs, les forces de l’ordre de notre pays. Tous les ans, afin de nous rappeler notre soumission au gouvernement, nous devions nous plier aux jeux de la mort : les Hunger Games. Le gouvernement sélectionnait un jeune garçon et une jeune fille dans chaque district, pour les jeter dans une arène ou ils devaient se battre en direct à la télévision, en utilisant diverses armes toutes plus mortelles les unes que les autres, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un-e seul-e survivant-e. J’ai participé à ces jeux, avec Peeta. Nous avons résisté au sein de l’arène jusqu’à ce qu’il ne reste plus que nous deux, et là, nous avons refusé de nous plier à leurs règles, nous avons refusé de nous entretuer pour leur plaisir, nous étions prêt-e-s à mourir tou-te-s les deux s’il le fallait. La démonstration de notre amour a touché les millions de spectateur qui nous regardaient, l’opinion publique a joué en notre faveur et nous avons été graciés en tant que couple. Cependant, le gouvernement a vu l’expression de notre amour mutuel comme un acte de rébellion, les autres districts aussi. Des manifestations et des soulèvements ont eu lieu à travers tous les districts, qui ont été accompagnés par une répression des pacificateurs plus forte et sanglante que jamais. Ils ont fouetté Gale sur la place publique, et chaque coup de fouet qui transperçait sa chaire transperçait la mienne avec la même intensité, car j’avais encore des sentiments pour lui à l’époque. Mais le temps de la guerre et du droit des conflits armés n’était pas encore venu. Notre rébellion n’était pas assez organisée après ces Hunger Games pour prétendre au statut de groupe armé qui aurait pu amener à qualifier la situation de CANI (voir arrêt Tadic au para 70 pour les conditions d’un CANI) : nous n’avions pas d’armes pour nous défendre, pas de hiérarchie, et les combats entre les districts et le gouvernement n’étaient pas assez intenses. Pouvait-on même parler de combat ? C’était de la répression, du maintien de l’ordre, et quelques actes de résistance de notre part de temps en temps. Il fallait plutôt parler de troubles et tensions internes, pas de conflit armé, et donc le DIH n’était pas applicable. C’est dans ce climat trouble que Peeta et moi avons été rappelé pour participer à un nouveau Hunger Games : les jeux de l’expiation. Dans l’ombre de ces jeux, les rebelles se sont organisés, se sont armés, ont établi une hiérarchie, avec Coin à leur tête, et ont établi un QG au sein du district 13. Après les jeux de l’expiation, les combats contre le gouvernement sont devenus intenses, entre bombardements du côté du gouvernement, et opérations au sol de notre côté. Il était donc désormais possible de parler de conflit armé non international entre un groupe armé suffisamment organisé, le nôtre, et un État, le gouvernement de Panem. La guerre avait commencé et, avec elle, le droit des conflits armés non internationaux devenait applicable : l’article 3 commun aux Conventions de Genève, le Deuxième Protocole additionnel aux Conventions de Genève, et la grande majorité des règles de DIH coutumier. J’étais convaincue qu’il était possible de gagner en sauvegardant notre humanité malgré la guerre, comme le préconise le droit des conflits armés. J’étais devenue la figure de la révolution, et pour moi il était hors de question de faire subir aux civils les mêmes atrocités que ce que le gouvernement nous avait fait subir avant. Nous allions respecter le DIH, en tout cas c’est que je pensais ...

II-Les méthodes et armes de guerre :

-Katniss : Le Capitole, notre ennemi, ne l’entendait pas de la même manière. Après les jeux de l’expiation, des milliers de civils ont été tués à la suite de bombardements dans le district 12, mon district d’origine, des maisons et des bâtiments civils ont été rasés, dont la maison de ma famille. Même si le district 12 m’apportait un soutien émotionnel, aucune opinion politique, aucune allégeance, aucun lien de filiation ne justifie de commettre de tels actes : les civils ne deviennent pas des cibles licites en DIH en raison de leur soutien ou de leurs liens avec l’ennemi, il faut qu’ils participent activement aux hostilités pour qu’ils puissent être l’objet d’attaques (voir à ce sujet le Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités). Pourtant, malgré cette violation flagrante des règles du droit de la guerre, l’entreprise de bombardements indiscriminés de Snow a continué : le district 13, mais aussi les hôpitaux du district 8 ont ensuite été touchés. Cette attaque envers des hôpitaux portait en plus atteinte à la protection des blessés et malades, ainsi qu’à la protection du personnel médical, qui sont protégés en toute circonstance même s’ils soignent l’ennemi (voir notamment règle 25 de DIH coutumier). Mais Snow se moquait du DIH, son but était simplement de bombarder tout endroit auquel j’étais lié de près ou de loin, pour m’anéantir, pour anéantir le geai moqueur.

De notre côté, nous organisions la riposte. Dans un premier temps, il fallait employer des armes qui respectaient le DIH. Cela impliquait de ne pas utiliser toutes les armes des jeux, contrairement à ce que suggérait Gale. De manière générale le DIH interdit les armes qui ne permettent pas de faire la distinction entre civils et combattants (voir notamment règle 71 de DIH coutumier). Il n’était donc pas question de recourir aux guêpes génétiquement modifiées utilisées dans les 74ème Hunger Games, auxquels j’ai participé, dont le venin pouvait causer des souffrances atroces, voire la mort. Cette arme était totalement contraire aux principes du DIH puisqu’en plus d’être indiscriminée, elle causait des souffrances inutiles (voir notamment règle 70 de DIH coutumier), et avait recours au poison, dont l’usage est également prohibé en DIH (voir notamment règle 72 de DIH coutumier). Malheureusement, les créateurs des jeux semblent avoir un léger faible pour les armes interdites en DIH, puisque dans les 75ème jeux, du brouillard brûlant la peau a été utilisé pour essayer de nous tuer, ce qui va à l’encontre de la prohibition des armes chimiques en DIH (voir notamment règle 74 de DIH coutumier). Nous avons donc décidé de conserver les armes plus respectueuses du DIH utilisées lors des Hunger Games : un trident pour Finnick, un arc pour moi.

-Peeta : Ça, c’était pour les armes des Hunger Games que nous avons décidé de reprendre ou non selon leur respect du DIH. Cependant, on ne peut pas dire que nos méthodes de guerre aient été respectueuses pour autant, ni celles de Snow d’ailleurs. Lorsque la révolte a éclaté, notre groupe a voulu pénétrer dans le Capitol, la capitale du pays, dans le but de tuer Snow. Le Président avait préalablement fait évacuer les civils des quartiers en bordure de la ville, là où nous étions censés rentrer, là où Snow avait posé des pièges pour nous accueillir. En soit, cette mesure de Snow était respectueuse des règles de DIH selon lesquelles il faut tenir éloignée des combats la population civile. Cependant, les pièges posés par Snow dans ces quartiers fantômes n’étaient pas pour autant licites au regard du droit international. Dans un premier temps, il avait placé des mines. Bien que non prohibées par le DIH coutumier, les Conventions de Genève ou leurs Protocoles additionnels, la Convention d’Ottawa sur les mines anti-personnel exige cependant de ne plus produire, utiliser ou entreposer des mines. Je ne sais pas personnellement si le gouvernement de Panem a ratifié cette Convention, mais les règles de DIH coutumier, applicables à tous les États, requièrent aussi d’enregistrer le placement de ces mines, ce que Snow n’a fait que partiellement (voir notamment règle 82 de DIH coutumier). Le risque est que la population civile, en revenant dans ses quartiers, marche sur des mines qui n’auraient pas été désactivées. En ce qui concerne le placement de mutants dans les égouts par lesquels nous devions passer, leur caractère incontrôlable en fait des armes aux attaques indiscriminées par nature, qui sont de ce fait prohibées en DIH : ils se sont attaqués à nous, mais ils auraient très bien pu s’attaquer à des civils s’ils s’étaient aventurés dans cette zone. Les mutants étant le résultat d’expériences médicales, leur utilisation contrevient également à la règle 92 de DIH coutumier. Snow a également eu recours au déversement de gelée noire toxique, qui ne respecte pas l’interdiction de l’utilisation d’armes chimiques, en plus de causer des dommages profonds à l’environnement (voir notamment règle 74 de DIH coutumier).

En ce qui nous concerne, il ne faut pas oublier que lors de notre progression dans les tunnels, Gale et Katniss utilisaient des flèches incendiaires, or l’utilisation d’armes incendiaires en DIH est limitée à ce qui est strictement nécessaire, car cela génère des maux inutiles (voir notamment règles 84 et 85 de DIH coutumier). Katniss, tu es une championne à l’arc, tu sais mieux que quiconque qu’une flèche normale bien placée génère moins de souffrance et est tout aussi efficace pour éliminer son adversaire.

Mais le pire selon moi est survenu lors de notre sortie des tunnels, lorsque nous avons rejoint la population civile qui cherchait refuge au centre de la ville. À ce moment, vous vous êtes dissimulés avec Gale au sein de la population civile, ce qui est prohibé en DIH, car cela lui fait courir le risque d’être prise au centre des tirs (voir notamment règle 23 de DIH coutumier). Pire encore, afin de retourner l’opinion publique contre Snow et gagner la guerre de l’image, notre cheffe Coin, avec l’appui de Gale, a décidé d’envoyer des colis piégés, sous forme d’aide médicale prétendument envoyée par le Capitole, à la population civile. Il s’agit d’une violation d’au moins trois règles du droit des conflits armés : l’interdiction du détournement de l’aide médicale (voir notamment règle 59 de DIH coutumier), l’interdiction de la perfidie (voir notamment règle 65 de DIH coutumier), et l’interdiction de cibler la population civile (voir notamment règle 1 de DIH coutumier). Nous ne valions pas mieux que les bombardements de Snow contre nos districts à ce moment-là ...

-Katniss : j’ai ressenti la même chose que toi. Lorsque j’ai appris que Gale avait approuvé ce plan, ça a été mon point de non-retour concernant mes sentiments envers lui : gagner la guerre oui, à n’importe quel prix, au prix de notre humanité, non.

III-Un droit après la guerre ?

-Peeta : D’ailleurs, nos violations du DIH ne se sont pas arrêtées ici. Après avoir remporté la victoire, après que Snow et ses forces aient déposé les armes, la Présidente Coin avait envisagé dans un premier de condamner Snow et ses complices à mort. Elle voulait satisfaire la soif de vengeance des différents districts qui ont été forcés à participer à ces jeux de la mort. Mais il y avait un problème ... le DIH exige la tenue d’un procès équitable avant de condamner à mort des individus détenus par une partie au conflit (voir notamment article 3 commun aux Conventions de Genève). Même sur le plan judiciaire, il existe des limites dans la guerre.

De plus, l’alternative suggérée par la Présidente Coin de procéder à une ultime édition des Hunger Games, où les participants seraient « les enfants du Capitole », n’était pas tellement mieux. À la fin des Hunger Games, il ne reste qu’un-e survivant-e, ce qui va à l’encontre de trois règles de DIH relatives à l’article 3 commun aux Conventions de Genève qui protège les personnes hors de combat ou qui ne participent pas aux hostilités : premièrement, cela porte atteinte à la dignité de ces personnes, puisque leur mort devient un spectacle ; deuxièmement,  cela porte atteinte à l’obligation de les traiter avec humanité ; troisièmement, ces jeux auraient violé l’interdiction des peines corporelles à leur encontre. De plus, il est possible de rajouter que cette logique des Hunger Games de tuer toutes les personnes jusqu’à la dernière va à l’encontre du principe d’humanité, selon lequel la guerre ne devrait chercher qu’à affaiblir le potentiel militaire de l’ennemi, et non à anéantir l’ennemi. J’étais catégoriquement contre une telle option, j’étais bouleversé de te voir aller dans le sens de Gale et Coin, de voter en faveur de ces jeux à condition de pouvoir toi-même tuer Snow. Mais où avais-tu donc la tête ? Toi qui es autant pour le respect du droit de la guerre et qui t’étais soulevé contre les propositions inhumaines de Gale et Coin.

-Katniss : Tu as raison, mais ma stratégie de voter en faveur n’était qu’une façade pour mieux atteindre mon dernier objectif militaire : tuer d’une flèche la Présidente Coin, qui était prête à répéter le cycle de violences débuté par Snow !

-Peeta : Je vois… Mais en même temps, sachant que Snow avait rendu les armes, avais-tu vraiment le droit de cibler la Présidente Coin en vertu du DIH ? Après tout, le conflit armé semblait être terminé, et donc le DIH par la même occasion. Les droits humains et plus particulièrement le droit à la vie (voir notamment art. 6 du PIDCP) prendraient alors le relai, non ? Si mon interprétation est bonne, cela voudrait dire qu’il était illicite en droit international de cibler la Présidente Coin…

-Katniss : Je ne suis pas d’accord avec toi, Peeta, mais il est vrai qu’il s’agit d’une question sujette à débat. À mon avis, le DIH continuait à s’appliquer au moment où j’ai ciblé Coin, car la fin d’un conflit armé ne doit pas être présumée à la légère. Au contraire, pour que le DIH cesse de s’appliquer, il faut un certain degré de permanence et de stabilité. Or, les armes venaient tout juste d’être rendues, il était difficile de dire que le pays avait acquis suffisamment de permanence et de stabilité pour que le conflit armé ne reparte pas, par exemple contre des gens qui seraient restés loyaux à Snow et à son idéologie. C’est pour ça que je crois que je pouvais cibler de façon licite la Présidente Coin. En plus, j’ai utilisé mon arc, donc une arme qui ne risquait pas de faire de victimes civiles collatérales. Je trouve au contraire que j’ai plutôt bien respecté les principes de distinction (voir notamment règle 1 de DIH coutumier), de précaution (voir notamment règle 15 de DIH coutumier), de proportionnalité (voire notamment règle 14 de DIH coutumier), et même d’interdiction des maux superflus (voir notamment règle 70 de DIH coutumier).

-Peeta : Admettons ta théorie, mais en même temps, la Présidente Coin était la cheffe de ton propre groupe. Le DIH permet-il vraiment à un soldat de se rebeller contre son propre chef et de le tuer dès qu’il commence à agir d’une façon qui lui déplaît ?

-Katniss : Je comprends ton point de vue… mais, le DIH s’applique aussi à l’intérieur même de nos propres forces armées, et le DIH prévoit que tout combattant a le devoir de désobéir à un ordre qui est manifestement illégal (voir notamment règle 154 de DIH coutumier). Et pour moi, la Présidente Coin représentait à ce moment une menace pour le peuple, une menace pour le respect du droit international.

-Peeta : Et qu’en est-il de Snow, qui s’est fait finalement tuer par la foule, attaché à un poteau? Snow n’avait pas le statut de prisonnier de guerre car nous étions dans un CANI, mais les règles des CANI protègent aussi les personnes hors de combat (voir notamment article 3 commun aux Conventions de Genève). La foule n’avait pas le droit de le tuer, sinon il s’agissait d’une violation de la règle du traitement humain des personnes hors de combat et de l’interdiction de la peine de mort pour les personnes détenues dans le cadre des conflits armés.

-Katniss : c’est vrai, tu as totalement raison sur ce point. Je ne défendrai pas la mort de Snow juridiquement, mais factuellement il était impossible pour moi de repousser toute une foule. Mais c’est pour ça que je t’ai choisi, pour ton amour du droit, ton amour de l’humanité. Parce-que tu crois fermement qu’il est possible d’apporter de l’humanité dans la guerre.

Ainsi se termine cette histoire d’amour Katniss et Peeta, qui était aussi une histoire d’amour entre la guerre et le droit. L’équipe du popcast et d’Osons le DIH vous souhaite à toutes et à tous une joyeuse Saint Valentin, et puisse le DIH vous être favorable !


Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

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